Que regarde Mrs. Tetherow (Michelle Williams)?

Cheminant à travers les plaines arides, le convoi emmenant Mrs. Emily Tetherow à la conquête de l’Ouest a dévié de la route. Les colons désespèrent d’avoir laissé le trappeur Stephen Meek les guider vers l’inconnu, l’eau se fait de plus en plus rare et le soleil est de plomb. Nous sommes au début de «La Dernière Piste» de Kelly Reichardt.

A ce moment du film, ce que regarde Mrs. Tetherow n’est peut-être qu’une illusion. Raccordé au photogramme la montrant bouche bée, le plan suivant dévoile au loin la silhouette d’un homme sur un cheval blanc, juché sur la crête de la colline que contourne le convoi. Peut-être un Païute? L’instant d’après, il a disparu et Mrs. Tetherow n’en dit rien à personne, sans doute incertaine de ce qu’elle a réellement vu. Par son jeu précis et subtil, Michelle Williams s’illustre dans ce rôle.

Récurrent, son regard sur l’Indien devient dès lors l’un des éléments-clés du film. Il culminera dans la scène finale, qui s’impose comme une métaphore de la disparition des Indiens et de la fondation des Etats-Unis par des femmes travailleuses et décisionnaires – démythifiant ainsi de manière magistrale le parangon américain à transformer la réalité du génocide et de la colonisation sinon en légende, du moins en idéologie patriarcale…

A propos du film

Réalisatrice indépendante et plutôt à contre-courant, Kelly Reichardt s’impose à chaque film grâce à son sens de l’épure et à l’adéquation extrêmement pertinente qu’elle accorde entre le fond et la forme. Avec «Old Joy» (2006) et «Wendy et Lucy» (2008), micro-portraits d’une Amérique conditionnée par le rêve et l’argent, la cinéaste s’était peu à peu rapprochée du western. Réalisé ensuite, «La Dernière Piste» («Meek’s Cutoff» 2010) métamorphose ce genre américain par excellence.

En 1845, dans l’Oregon, trois familles de pionniers s’en remettent au trappeur Stephen Meek pour atteindre les terres cultivables qu’on leur a tant fait miroiter. Connaissant un soi-disant raccourci, leur guide les emmène au beau milieu du désert, où la faim et la soif se font cruellement sentir. Le convoi croise alors la route d’un Indien, qui va ébranler leurs convictions: doivent-ils lui accorder leur confiance?

Librement inspiré de la véritable histoire de Stephen Hall Meek, qui ouvrit une nouvelle route vers l’Ouest, «La Dernière Piste» est un film à petit budget hautement réussi, tourné dans un format presque carré au cœur de vastes étendues désolées. Kelly Reichardt y représente toute la violence que la conquête des Etats-Unis a sourdement mis en place à ses balbutiements. Guidés par deux archétypes du mythe, le cow-boy et l’Indien, les colons se retrouvent prisonniers de terres arides et d’un hors-champ aussi menaçant que mystérieux, brisant le rêve américain qui les avait animés jusque-là.