Ce photogramme est tiré de l’une des scènes parmi les plus marquantes de «Marie-Antoinette» (2006) de Sofia Coppola. Elle advient après une cinquantaine de minutes du film, qui dure près de deux heures. Cette scène s’ouvre sur la jeune reine cadrée en plan américain (coupée sous les genoux), debout devant une tapisserie dont les motifs fleuris siéent à l’époque. Elle tient à la main une lettre dont elle doit avoir tout juste achever la lecture (muette). Accablée, la jeune femme pousse un grand soupir. Le pli lui file entre les doigts et tombe par terre…
Avec un sens de l’à-propos cinématographique sidérant, Sofia Coppola donne alors à entendre en off les mots et phrases qui suscitent une telle réaction, lues par leur auteure, l’archiduchesse d’Autriche Marie-Thérèse, sa mère: «Très Chère Antoinette, c’est une grande joie pour moi de vous apprendre combien vos frères et sœurs sont heureux dans leur mariage. Marie-Caroline est enceinte et attend son premier enfant en juin, et Ferdinand est enchanté de Béatrice qui l’a épousée sitôt qu’il l’a vue. Toutes ces nouvelles qui devraient m’emplir de contentement sont gâtées par le souci que je me fais de votre dangereuse situation. Tout dépend de l’épouse, de sa bonne volonté, de sa douceur. Je ne saurai vous répéter assez que vous devez recourir aux charmes et à la patience, jamais à la mauvaise humeur, pour remédier à cette situation malheureuse. Rappelez-vous que votre position ne sera jamais assurée tant que vous n’aurez pas produit d’héritier…»
Au fur et à mesure de cette lecture, Marie-Antoinette a de plus en plus de mal à respirer. Elle se laisse choir le long de la paroi, jusqu’au sol. Une lente chute froufroutante dont la caméra s’approche par le biais d’un travelling avant, jusqu’à cadrer son visage en gros plan. Kirsten Dunst a alors ce regard extraordinaire vers la droite du cadre, en direction de ce qui pourrait bien être une fenêtre à en juger la lumière. Mais Sofia Coppola se garde bien d’effectuer le raccord qui pourrait nous le confirmer. Le regard reste sans objet, comme s’il était renvoyé à lui-même, exprimant l’impossibilité d’échapper à ce que l’on exige d’elle, épinglée tel un papillon contre la tapisserie à fleurs. Puis la jeune femme tourne la tête et fixe la caméra, nous prenant à témoin de manière indéfinissable, quelque chose de l’ordre de l’acceptation malheureuse mais résolue, ce que confirmera la scène suivante…
A propos du film
Née en 1971, Sofia Coppola a fait ses débuts à l’écran un an plus tard en jouant le «rôle» du bébé de l’une des filles Corleone dans «Le Parrain» de Francis Ford Coppola. Elle a choisi la même voie que son père, en tournant d’emblée des films très originaux comme «Virgin Suicides» (1999) ou «Lost in Translation» (2003). Cinq ans avant «Somewhere», qui lui valu un Lion d’or à Venise en 2010, la réalisatrice a réalisé avec «Marie-Antoinette» un film historique d’une contemporanéité absolue.
A l’âge de quatorze ans, Marie-Antoinette quitte sa Vienne natale pour épouser le dauphin du Roi de France. Louis XV meurt et elle est sacrée Reine à l’âge de dix-neuf ans. Après sept ans d’essais infructueux et malhabiles, le mariage royal est enfin consommé. Seize ans plus tard, Marie-Antoinette est guillotinée. Etouffée par un protocole qui lui dicte la moindre de ses attitudes et paroles, la petite se rebiffe tout au long du film, comme le fera plus tard une certaine Lady Di, elle aussi prise au piège d’un mariage arrangé d’apparat.
En proie à la cruelle nasse patriarcale, la reine d’antan est une ado intemporelle, une victime de l’incompréhension des adultes poudrés et perruqués. La lumière vive, les costumes colorés et la musique pop des années 1980 – servie entre autres par Bow Wow Wow et The Cure – donnent un écrin contemporain à l’univers décadent de Versailles. On échappe ainsi à la froide adaptation historique et aux conventions ennuyeuses du genre, sans pour autant démentir l’Histoire.
Un œil attentif décèlera ci et là les signes qui confèrent à cette fausse bluette la plus troublante actualité! La plus évidente, c’est la paire de «Converse» qui perturbe l’alignement des chaussures de la Reine des consommatrices!