Que regarde Antoine, joué par Jean-Pierre Léaud?

Pris au piège de son propre mensonge, Antoine Doinel fixe non sans appréhension ses parents qu’il a aperçus à travers la porte vitrée donnant accès à sa salle de classe. Le matin même, il a fort imprudemment prétendu à son instituteur que sa mère était morte, histoire de justifier son absence un brin prolongée de la veille.

On l’aura deviné, ce plan est tiré des «400 coups» (1959), premier long-métrage de François Truffaut (1932-1984) qui voit Jean-Pierre Léaud faire ses débuts d’acteur. L’ex-critique de cinéma passé à la réalisation en fera son alter ego cinématographique, le dirigeant à plusieurs reprises, notamment dans sa trilogie formée de «Baisers volés» (1968), «Domicile conjugal» (1970) et «L’Amour en fuite» (1979).

Truffaut a déniché ce jeune garçon frondeur et mal aimé, en faisant passer une annonce dans France-Soir. En septembre 1958, près de quatre cents candidats défilent pour les auditions. Très tôt, Jean-Pierre Léaud s’impose, réussit chaque étape du processus, jusqu’au choix final.

Subjugué, le réalisateur modifie le scénario en fonction de la personnalité de Léaud. «Je crois qu’au départ, écrira Truffaut dans ses mémoires, il y avait beaucoup de moi-même dans le personnage d’Antoine Doinel. Mais dès que Jean-Pierre Léaud est arrivé, sa personnalité qui était très forte m’a amené à modifier le scénario. Je considère donc qu’il est un personnage imaginaire qui emprunte un peu à nous deux.»

A propos du film

Enfant ombrageux et rebelle, ayant souffert du peu d’affection accordé par sa mère et du pressentiment que son père n’était pas son vrai père (ce dont il aura la confirmation des années plus tard), François Truffaut s’est réfugié dans les livres et les films pour garder la vie sauve… Fin mars 1959, il obtient sa «revanche» avec le triomphe des «Quatre Cents Coups» qui annonce l’avènement du cinéma moderne (en France).

Ouvertement autobiographique, ce premier long métrage, qui va être considéré comme le manifeste de la Nouvelle Vague, raconte la révolte d’un garçon de douze ans, Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud), en butte à toutes les formes d’autorité engendrées par la société française et terriblement morose de la fin des années cinquante – famille, école, prison, etc. Avec une vitalité sèche, sans ostentation, Truffaut liquide l’imagerie mièvre liée à la représentation cinématographique de l’enfance d’antan…

Chacun garde en mémoire ce long travelling de fugue qui entraîne Doinel jusqu’au bord de l’océan; un océan dont on ne sait s’il est alors un ultime obstacle infranchissable ou le symbole d’une liberté retrouvée… Une alternative «indécidable» qui va être au cœur même de l’œuvre encore à venir.