JBJ, cinéaste de la mémoire

Depuis plusieurs décennies, le Neuchâtelois Jean-Blaise Junod (à droite sur la photo de tournage de «Léopold R.») développe une œuvre cinématographique passionnante avec pour thèmes récurrents l’acte de création, la mémoire et l’intériorité. Autodidacte, Junod fait ses débuts de cinéaste en 1967 avec un court-métrage, «La Dame de Coppet», où il évoque en toute subtilité l’exil douloureux de Madame de Staël. Par le biais de films de commande, il acquiert une indépendance qui va lui permettre de pratiquer le cinéma d’auteur exigeant auquel aspire cet admirateur de Tarkovski.

Avec «Retour à Aran» (1978), Junod revient sur les lieux de tournage de l’un des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma dit du réel, «L’Homme d’Aran» (1934) de Robert J. Flaherty, qu’il considère comme l’un de ses «maîtres à filmer». En 1986, il réalise l’un de ses plus beaux films, «Paysages du silence». Tourné pour sa plus grande partie dans l’atelier vénitien du peintre Zoran Music, ce documentaire patient s’efforce de capter «l’instant de grâce» qui permet le passage à l’acte créateur.

Sélectionné à Cannes, dans le cadre de la Semaine de la Critique, «Duende» (1989) constitue son premier long-métrage. Celui-ci s’attache aux pas déterminés d’un jeune torero andalou à la veille d’accomplir ce que les spécialistes appellent «l’alternative» qui lui permettra d’acquérir le grade de «matador de toros». Anti-spectaculaire, ce beau film aussi taiseux que son protagoniste nous confronte au mystère d’un être se préparant minutieusement à «un face-à-face avec la gloire et la mort». Junod demeure en terre andalouse pour filmer dans «Pèlerinages» (1992) la procession du Rocio où des milliers de personnes ivres de chaleur et de poussière (mais pas seulement) rendent hommage à la Vierge, considérée à l’égale d’une déesse mère. A ces séquences de transes quasi païennes, le cinéaste adjoint celles de moniales d’un couvent cistercien empli de silence et de prières, avec, à la clef, un montage inédit dans sa manière de raccorder les mouvements des corps à ceux des âmes.

Avec «Leopold R.» (1998), Junod aborde un tout autre genre, celui du film à costumes épistolaire. Au début du XIXe, Léopold Robert (qui a donné son nom à la célèbre avenue de La Chaux-de-Fonds), était un peintre parmi les plus admirés en Europe. Se basant sur des lettres tirées de la correspondance de celui qui fut l’élève de David, le réalisateur nous confronte à l’énigme de son suicide par égorgement, geste pour le moins violent, qu’il commit en 1835 dans la chambre d’un palais vénitien. En 2002, Junod suit dans «Scènes du Voyage» Charles Joris (1935-2015), l’un des fondateurs du Théâtre populaire Romand au cours d’une tournée d’adieux très particulière. Sillonnant les villages où l’utopie incarnée par le TPR s’était réalisée de la façon la plus concrète dans les années 1960 et 1970, Joris, atteint par l’âge de la retraite, accomplit devant la caméra intime de Junod une manière de travail de deuil à la fois poignant et lucide.

Lauréat du Prix de l’Institut Neuchâtelois en 2005, Junod se voue depuis lors à la restauration de film, tout en continuant à réaliser des courts-métrages où il fait toujours montre de son exigence d’auteur, tel «Monet 1886: une rencontre à Belle-Île-en-Mer» qui retrace la rencontre du peintre impressionniste et de son premier biographe.

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