En l’occurrence, la question est ici plutôt: qui regarde le personnage joué par Gena Rowlands en faisant ce geste d’exorciste que l’on verrait plutôt dans un film d’horreur? De fait, il s’agit d’un psychiatre. Celui-ci s’efforce de lui administrer un sédatif, histoire de la calmer et de l’expédier en hôpital psychiatrique.
Ce plan est tiré du film «Une Femme sous influence» (1974), l’un des chefs-d’œuvre du réalisateur américain indépendant John Cassavetes (1929-1989), dont Gena Rowlands joue le rôle principal féminin, celui de Mabel, une femme au foyer pour qui la normalité constitue une impasse absolue.
L’épouse de Cassavetes, qui renonça à une carrière hollywoodienne pourtant toute tracée, pour jouer dans les sublimes films fauchés de son mari, y est exceptionnelle, restituant une palette d’émotions contradictoires affolante, inventant «à chaque fois une nouvelle game de gestes, de grimaces, de fétiches et de fatigue», comme l’écrit si justement Murielle Joudert dans l’essai qu’elle lui a consacrée («On aurait dû dormir» qui vient de paraître aux éditions Capricci).
A propos du film
Si l’on s’en tient au seul résumé de la trame du septième long-métrage de Cassavetes – disons qu’il s’agit de la tragicomédie d’une femme et mère de famille de bonne volonté qui essaie de satisfaire tout le monde en restant elle-même, qui n’y parvient pas et qui craque — l’on ne fait qu’effleurer la complexité magnifique de ce film féministe à nul autre pareil.
Financé par le réalisateur et ses proches, «Une Femme sous influence» est, à la différence de ses films précédents, situé dans un milieu ouvrier. Sans jamais juger ses personnages ni expliquer leurs motivations, Cassavetes montre qu’il est difficile, voire impossible pour une femme de jouer quasi simultanément tous les rôles, parfois contradictoires, que la société voudrait lui imposer.
Usant à dessein d’objectifs à longue focale, de manière ce que les acteur·trices puissent complètement oublier la caméra, le cinéaste enregistre avec une acuité terrible (et une tendresse infinie) toutes les influences qui font le malheur de Mabel, dont celle de Nick (merveilleusement interprété par Peter Falk, l’un des acteurs fétiches de Cassavetes), son mari qui veut la protéger d’elle-même et des autres, au risque de sombrer dans le déni… Rarement on a filmé avec une telle vérité cet acharnement à simuler en vain une soi-disant vie normale!