Touki Bouki

de Djibril Diop Mambéty |
avec Magaye Niang, Mareme Nyang, Aminata Fall, Ousseynou Diop, etc.

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      «Si le mot n’était pas si dévalué, on dirait simplement de Touki Bouki que c’est un chef-d’oeuvre» écrivait Louis Skorecki dans Libération, au moment de la sortie parisienne du film, en 1986, 13 ans après son passage à la Quinzaine des réalisteurs, à Cannes… «Touki Bouki» est en effet, au sein de la production cinématographique africaine, un film essentiel. Djibril Diop Mambéty place le cinéma au-dessus, ou au-delà de toute préoccupation thématique; il met en images le «rêve africain» (de richesse, d’exil en Occident) dans une forme libre qui exclut toute réduction au politique ou au social. «Touki Bouki» s’intitule «Le Voyage de la hyène» parce que, dit Diop, «la hyène est l’animal asocial par excellence, qui ne sort que la nuit». Ainsi ressemble-t-elle à ses deux personnages marginaux, décalés dans ce monde fou auquel ils appartiennent.
      Au début du film, un enfant traverse la campagne à la tête d’un troupeau de zébus. Des bêtes que l’on voit ensuite déchiquetées à l’abattoir, et dont on retrouve une paire de cornes sur le guidon de la moto du jeune héros du film… raccourci saisissant sur la mort de l’Afrique. Ce berger sans troupeau sillonne ainsi la ville, solitaire et désœuvré. Avec sa jeune compagne qui, par provocation, s’habille en garçon, ils rêvent de partir à Paris et vont chercher l’argent nécessaire à leur voyage. A la fin du film, au début de leur voyage, Joséphine Baker chante en boucle Paris, Paris, Paris pendant que la jeune femme rejoint enfin le port. Alors que son ami reste en rade, elle embarque sur un paquebot en partance pour Paname. Ironie ultime: ce bateau, L’Ancerville, fut le dernier des navires négriers. Métaphore cinglante de l’Afrique, foisonnante d’images symboliques, Touki Bouki constitue une expérience cinématographique sans égale, où le cinéaste transcende sa propre culture à travers les influences occidentales; jouant des sons, des images et des musiques avec une rare et jouissive impertinence. Chez Djibril Diop Mambéty, il n’y a pas de règles: il n’y a que des éclairs.

      Sénégal, 1973, 1h35; programme n°22

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