«Tim Burton Returns»

Caméra-stylo, programme n°117 |

Après dix longs-métrages, Tim Burton reste toujours une heureuse anomalie: cinéaste d’avant-garde, il travaille au cœur du système qu’il remet pourtant en question de façon radicale. Né en 1959, à Burbank, en Californie, le petit Tim a passé une enfance solitaire dans une morne banlieue. Adolescent, il trompe son ennui en réalisant dans sa chambre des dessins animés artisanaux peuplés de monstres inquiétants, qu’il se garde bien de montrer, de crainte d’inquiéter son entourage. Rêvant d’interpréter le rôle de Godzilla (dont il ignore alors la nature toute mécanique), le jeune Burton connaît son premier succès en créant le joli motif d’une affiche écologique qui sera exhibée durant des mois sur le vil camion à ordures sillonnant sa banlieue… De cette malheureuse destinée, notre futur cinéaste tirera plus tard une très précieuse leçon, mais n’anticipons pas! Grâce à une bourse accordée par la Fondation Walt Disney, Burton peut étudier au très sérieux «California Institute Of The Arts» dont il sort diplômé en 1979, en dépit de moult provocations.

Séjour mouvementé chez l’Oncle Walt

Le boursier méritant est aussitôt engagé par les Studios Disney où il contribue à l’animation collective des scènes les plus mignonnes de «Rox et Rouky» (1981), tout en fomentant seul dans son coin deux courts-métrages très personnels qui auront le don de placer en état d’alerte la bande des macs à Mickey… Attention, cinéaste dangereux! Réalisé en prises de vue réelles, «Frankenweenie» narre l’histoire d’un très jeune émule du Dr. Frankenstein, qui tue son chien pour le ressusciter selon son désir. Plutôt horrifiés, les pontes de chez Disney se refusent à diffuser cette vision très particulière de l’enfance, située aux antipodes des rêvasseries rose bonbon typiques de la maison. Aussi vilipendé ait-il été, ce court-métrage contient en germe toute l’œuvre à venir. Burton peut donc quitter le phalanstère douceâtre de l’oncle Walt pour passer à des projets autrement ambitieux, où il n’aura de cesse de répéter le geste inaugural du gamin de «Frankenweenie»!

Une méprise fructueuse

Via «Batman» (1986), l’ex-animateur est intronisé jeune cinéaste à succès par Hollywood. Grâce à cette méprise, Burton peut continuer à «tuer» les commandes que lui passent les Majors, pour les ressusciter selon son désir, en jouant avec de vieilles références cinématographiques oubliées (expressionnisme allemand en tête) qu’il recycle dans un but éminemment politique. C’est ainsi qu’il inverse de façon radicale l’ancienne proposition esthétique expressionniste chère à Murnau qui instaurait un conflit de la lumière et des ténèbres, emblématique du combat manichéen entre le bien et le mal. En accord avec la critique de la société du spectacle de Guy Debord et consorts, Burton fait jaillir la lumière sur le «méchant» en pleine jouissance, tandis que se recroqueville dans l’ombre le justicier rongé par son devoir. En multipliant des unions d’images inattendues, qui re-poétisent les clichés dévoyés, l’auteur de «Big Fish» s’attaque en fait au dernier statut en date donné à l’objet film – n’être plus qu’un produit d’appel!

Vincent Adatte