The Bookshop

Réalisatrice et scénariste catalane, Isabel Coixet livre d’une part des fictions d’une grande délicatesse, qui retracent les parcours de femmes ordinaires confrontées aux aléas de la vie et à la société patriarcale, d’autre part des documentaires et des clips musicaux. Bénéficiant de l’aile protectrice de Pedro Almodóvar, qui a produit nombre de ses films, elle s’est fait connaître au début des années 2000 avec «Ma vie sans moi», une chronique poignante des derniers jours d’une femme atteinte d’un cancer incurable, puis «The Secret Life of Words», une histoire d’amour intimiste sur une plateforme pétrolière. Depuis, la cinéaste tourne ses films féministes dans le monde entier, aussi bien en France (l’un des segments de «Paris, je t’aime»), qu’aux Etats-Unis («Lovers» avec Penélope Cruz) ou au Japon («Carte des sons de Tokyo»).

Tourné au Royaume-Uni d’après le roman homonyme de la Britannique Penelope Fitzgeral, «The Bookshop» raconte l’histoire de Florence Green, une veuve d’un certain âge interprétée avec une sensibilité et une pudeur admirables par Emily Mortimer. En 1959 à Hardborough, une bourgade sise dans la grisaille du nord de l’Angleterre, elle rachète une charmante maison désaffectée depuis des lustres. Passionnée de livres, elle y ouvre une librairie. Malheureusement, la répugnante Violet, une grande bourgeoise décrépite qui tient sous sa coupe tous les aristocrates du coin, ne souffre pas qu’une femme plus jeune qu’elle se lance dans une telle entreprise. Lorsque Florence met en vente «Lolita», le sulfureux roman de Nabokov, Violet pense avoir trouvé le moyen de faire fermer la boutique…

A travers ce récit, qu’elle semble mener de façon classique et quelque peu désuète dans un anglais so british et une ambiance surannée, Isabel Coixet atteint mine de rien une profondeur surprenante. Faisant peu à peu craqueler le vernis de l’aristocratie, la réalisatrice instille une pincée de suspense et une représentation des édiles que n’auraient pas renié Frisch ou Dürrenmatt. Et pour cause, en dénonçant par la bande l’ignorance et la corruption des puissants, elle nous propose un film universel, où la simplicité et le cliché ne sont qu’apparences. Dédié à l’écrivain britannique John Berger (le père du réalisateur suisse Jacob Berger), peut-être en clin d’œil à ses interrogations sur les présupposés des critiques, «The Bookshop» n’est heureusement pas passé inaperçu lors de la remise des Goyas: il en a raflé ceux du Meilleur film, de la meilleure réalisation et de la meilleure adaptation!

de Isabel Coixet
Espagne/Royaume-Uni/Allemagne, 2018, 1h52