«Sur le fil du rasoir»

    Caméra-stylo, programme n°204 |

      Du 13 avril au 17 mai, Passion Cinéma présente un cycle de onze films dont les personnages sont tous sur le fil du rasoir: des aspirations insensées de «Eddie the Eagle» à la convalescence risquée de «Demolition», en passant par le pari osé de «Adopte un veuf», la folie furieuse de «Green Room», la quête incertaine des «Ogres», l’enquête nonsensique de «Ma Loute», le projet déjanté de «Belgica», la vie interdite de «Dalton Trumbo» et la trajectoire déroutante des «Amants de Caracas», sans oublier les convictions vitales de «Nettoyeurs de guerre» et les marginaux étonnants de «Above and Below», tous deux proposés en présence de leurs auteurs. Inédite, cette programmation démente rejoint également celle de Toiles en fête, le nouvel événement cinématographique romand, qui propose trois jours de cinéma à gogo, les 24, 25 et 26 avril, au prix unique de 7.- francs la place!

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        Pas de panique, l’intitulé du nouveau cycle de Passion Cinéma ne va pas vous clouer dans le fauteuil d’un salon de coiffure, ni égrener les toiles recelant une scène culte où le protagoniste expose sa gorge vulnérable au rasoir acéré d’un barbier forcément ambigu, à l’exemple du «Dictateur» de Chaplin, des «Promesses de l’ombre» de David Cronenberg ou de «Sweeney Todd» de Tim Burton. Ici, l’expression est bien évidemment à prendre dans son sens figuré et désigne donc le fait de se trouver dans une situation instable, incertaine, risquée, et qui pourrait peut-être mal tourner!

        Les auteurs rasés de près

        «Etre sur le fil du rasoir»: cette expression convient à merveille aux réalisateurs qui pratiquent un véritable cinéma d’auteur. En osant de nouvelles formes et en ne craignant pas de transgresser les habitudes du public, ils s’exposent dès lors à l’échec ou, sous d’autres latitudes, aux coupures de la censure, lesquelles peuvent s’avérer bien plus meurtrissantes que les ratés d’un barbier maladroit ou psychopathe. Cette sensation à la fois inconfortable et excitante, maints cinéastes défricheurs ont dû l’éprouver: Hitchcock, quand il tournait «Psycho», Pasolini, alors qu’il filmait les délires sadiens de «Salo ou les 120 Journées de Sodome», Gus Van Sant, au moment de se perdre dans le désert de «Gerry», Buñuel, lorsqu’il ordonnait la sainte Cène scandaleuse de «Viridiana» ou encore Kubrick dénudant (à peine) les épaules de «Lolita»… Cette liste, qui ne semble pas avoir de fin, prouve à tout le moins que le septième art n’a pas failli à sa très saine mission iconoclaste!

        Dalton l’insoumis

        Les œuvres programmées dans ce cycle printanier ont pour point commun de toutes évoluer sur le fil du rasoir, soit parce qu’elles nous entretiennent de personnages qui sont toujours à la limite, pris dans des processus dont ils ne connaissent pas encore l’issue, ou alors parce que les films en eux-mêmes constituent une entreprise à risques très inconsidérés et donc absolument passionnante. A la première catégorie appartient par exemple «Dalton Trumbo», biopic d’un scénariste de légende pris dans la tourmente du maccarthysme, qui n’en continua pas moins à écrire dans la clandestinité. Idem pour les deux frères de «Belgica», tentant de faire d’un piano-bar un lieu de concert légendaire sans perdre leur âme, ou pour le sauteur à ski très improbable d’«Eddie the Eagle»!

        Sérum de nouveauté

        Agrémente la deuxième catégorie un cinéaste importantissime comme Bruno Dumont qui, dans «Ma Loute», injecte à la comédie de mœurs un sérum de nouveauté aux effets dévastateurs avec, à la clef, un objet cinématographique parfaitement non identifié, malgré les trognes pourtant familières de Binoche et Luchini! Pareil pour le réalisateur suisse Nicolas Steiner, qui investit le territoire social dévasté des Etats-Unis pour en scruter les fissures et les fêlures, avec le danger que son film ne se dérobe tout entier devant sa caméra. Il s’en est sorti sain et sauf, comme en atteste un Prix du cinéma suisse du meilleur documentaire absolument mérité. Auteur de l’époustouflant slasher «Green Room», Jeremy Saulnier a été confronté à un autre dilemme: jusqu’où aller dans la monstration de la violence, au risque de s’aliéner le spectateur révulsé? Très loin, au vu de son film!

        Vincent Adatte