«Sept comédies tout ouïe!»

    Caméra-stylo, programme n°42 |

      D’emblée, dissipons un malentendu… Le cinéma n’est pas né «complètement» muet: entre 1895 et 1925, nombreux sont les inventeurs, loufoques ou géniaux, qui se sont efforcés de concevoir des films sonores; malgré leurs efforts, ils ne sont jamais parvenus à obtenir un synchronisme parfait entre l’image et le son. Ainsi, le premier long métrage parlant, Le chanteur de jazz (1927, Alan Crosland) est accompagné d’un simple disque synchronisé avec le projecteur (le fameux Vitaphone), ce qui rend sa projection très aléatoire. A la fin des années 20, le film sonore pourvu d’une piste optique disposée en marge des images l’emporte sur tous les autres procédés et assure le triomphe public du talkie.

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      Triomphe et extinction

      Las, ce succès est synonyme de catastrophe aux yeux des «grands» du burlesque américain (slapstick). Pour la plupart, le cinéma sonore sonne le glas de leur carrière — Buster Keaton, Harold Lloyd, Harry Langdon, etc.. Comment expliquer cette extinction? Un premier élément de réponse est à chercher dans leur approche purement visuelle du gag; par ailleurs, le statut solitaire de leurs personnages respectifs semble étranger à la notion de communication, de dialogue. Ce n’est pas un hasard si Laurel et Hardy sont les deux seules stars du Muet à avoir réussi le passage au Parlant: soudain doués de paroles, ils donnent encore plus de vie (et d’étrangeté comique) au couple qu’ils formaient déjà. Quant à Chaplin, il a bel et bien sacrifié Charlot (après de longues hésitations) pour assurer sa survie cinématographique!

      Esclave du dialogue, le cinéma comique américain des débuts du sonore perd dans un premier temps son originalité; «théâtre filmé», il devient statique et bavard, trop bavard — par la faute, il est vrai, d’une caméra devenue très pesante, isolée qu’elle est dans un caisson épais (le blimp) afin que le micro n’enregistre pas le bruit du moteur électrique. Résolus à être rétablis dans leurs prérogatives d’artistes, les cinéastes se confrontent alors à la fameuse alternative de l’époque: faut-il choisir le gag ou le mot? De façon subtile, ils prouvent qu’il s’agit là d’un faux problème en créant des dialectiques inédites entre le gag et le jeu de mots — tant aux Etats-Unis (Lubitsch, Capra, Cukor) qu’en France (Pagnol, Guitry, Renoir) d’ailleurs.

      Le marxisme à la rescousse

      Les Marx Brothers personnifient à merveille cette recherche d’équilibre: de Groucho le rhéteur fou à Harpo le mime «muet», les quatre frères Marx réalisent une fusion explosive qui réconcilie le visuel du slapstick et le verbe — Duck Soup (La soupe au canard, 1933) en est la preuve confondante. Cette réappropriation de l’héritage burlesque par le verbe connaît son apogée avec Hellzapoppin (1941, H. C. Potter) qui démantibule un grand succès de Broadway jusqu’à l’absurde. Même un Howard Hawks, cinéaste émérite du dialogue, prend soin dans l’extraordinaire Monkey Business (Chérie je me sens rajeunir, 1952) de construire ses effets comiques en jouant tout à la fois sur les (bons) mots et sur les gags.

      Durant les années quarante, le succès des dessins animés libère les cinéastes américains des dernières entraves du «théâtre filmé»; décuplant la notion de non-sense travaillée par les créateurs du Burlesque, les dinguerie d’un Tex Avery mettent en rapport sons et images d’une manière complètement renouvelée. Grâce aux dessins animés, le son se libère de la tutelle de la parole et trouve une fonction comique à part entière. Avec Jacques Tati (en France), Jerry Lewis profite à plein de cette libération et invente la notion de gag sonore… Enfin le son (inarticulé) et l’image font cause commune et des ravages hilarants — ah! le son de l’aspirateur de Who’s Minding The Store (Un chef de rayon explosif, 1963).

      Tarantino comique

      Au jour d’aujourd’hui, la notion de cinéma comique sonore semble aller de soi: à témoin, les innombrables cinéastes américains qui, peut-être sans le savoir, empruntent (et parfois approfondissent) les inventions de leurs aînés. En témoignent un John Landis dont le film «culte» The Blues Brothers (1980) doit beaucoup à Frank Capra et à Preston Sturges, ou, encore plus récemment, un Quentin Tarantino qui prône dans Reservoir Dogs (1992) ou Pulp Fiction (1994) un mode «ralentissant» du dialogue inventé voici plus de 50 ans par Laurel et Hardy

      Vincent Adatte