«(R)évolutions»

Caméra-stylo, programme n°179 |

Le cinéma dépeint la démocratie avec sympathie. Mais la ferveur révolutionnaire lui est encore plus chère, engendrant un enthousiasme étonnant, dont fut la proie un homme aussi réservé que Emmanuel Kant et ce, bien avant la naissance du cinéma. La légende rapporte en effet que le philosophe allemand modifia à deux reprises sa promenade immuable dans les rues de sa ville natale de Königsberg, une fois pour acquérir un exemplaire du «Contrat social» de Rousseau, la deuxième pour acheter le journal en juillet 1789. Le récit de la prise de la Bastille et autres péripéties sut un brin l’émouvoir, car, quelques années plus tard, l’auteur de la «Critique de la faculté de juger» n’hésita pas à écrire ceci dans un ouvrage traitant du conflit des facultés: «Même si le but visé par cet événement n’était pas encore aujourd’hui atteint, quand bien même la révolution ou la réforme de la constitution d’un peuple aurait finalement échoué, ou bien si, passé un certain laps de temps, tout retombait dans l’ornière précédente (comme le prédisent maintenant certains politiques), cette prophétie philosophique n’en perd pourtant rien de sa force. Car cet événement est trop important, trop mêlé aux intérêts de l’humanité, et d’une influence trop vaste sur toutes les parties du monde pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l’occasion de certaines circonstances favorables et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de ce genre… Dès le début, la Révolution française ne fut pas l’affaire des seuls Français».

L’enthousiasme de l’Occident

Né dans le sillon de la démocratie moderne, le cinéma ne s’est pas privé d’exaucer le vœu du sieur Kant, le plus souvent sous la pression de ministères de la culture s’arrogeant le devoir de mémoire et son exaltation. Le phénomène d’enthousiasme s’est alors répété, jusqu’à plus soif. De façon significative, ce mouvement d’empathie a été surtout le fait de spectateurs qui n’étaient pas directement concernés par l’événement révolutionnaire et jouissant des avantages d’une démocratie assez tempérée pour s’adonner à quelque douce rêverie séditieuse de justice universelle. L’eussent-ils été qu’ils se seraient montrés sans doute beaucoup plus circonspects! Rappelons que «Le Cuirassé Potemkine» (1925) du Soviétique S. M. Eisenstein n’impressionna guère les autochtones pour lesquels cette ode formaliste avait pourtant été composée. Ce chef-d’œuvre de cinéma expérimental étatique provoqua toutefois un engouement sans précédent en Occident, magnétisant des générations et des générations d’intellectuels admiratifs et hélas conquis!

La révolution était un conte

Aujourd’hui, on se la joue plutôt désenchanté! Frappé à juste titre de suspicion, le septième art bat sa coulpe, en rabat sur ses prétentions, préférant la lucidité à l’enthousiasme, sans pour autant (trop) renier ses engagements… Le dernier cycle de l’année 2012 proposé par Passion Cinéma présente six films qui, chacun à leur manière procèdent de ce constat: la révolution était un conte, mais qui a permis une forme d’évolution libératrice, du moins au niveau individuel, comme en témoignent Thérèse Desqueyroux, l’alter ego du réalisateur Olivier Assayas dans l’intimité grandiose de son «Après Mai», la plasticienne subversive Marina Abramovic, les jeunes Cubains désillusionnés de «Una Noche» ou les enfants soldats de «War Witch», restes pétrifiés des luttes anticoloniales… Mais pourquoi diable les abeilles sont-elles en train de disparaître?

Vincent Adatte