«Qui est fou ?»

Caméra-stylo, programme n°56 |

Du fait de son statut particulier, le cinéma, depuis toujours, entretient avec la folie un rapport privilégié, double, qui se traduit par deux approches complètement différentes. D’une part, il peut prétendre à une certaine objectivité et se montre alors à même d’atteindre une dimension quasi clinique dans son observation de l’être humain. D’autre part, et parfois dans le même temps, ce même cinéma peut soudain être en mesure de plonger dans la subjectivité de la personne dont il s’attache à décrire les faits et gestes — jusqu’à se confondre avec le délire qui pourrait affecter cette même personne.

Advient alors le dilemme qui se pose à tout cinéaste qui s’efforce de traiter le thème de la folie: faut-il se contenter d’observer le «cas» de l’extérieur, en collectant les symptômes (ce serait alors la tâche du cinéaste documentaire); ou alors épouser, tant que possible, le point de vue du «cas», restituer son intériorité et faire dès lors le pas de la fiction?

Depuis qu’il existe, le cinéma est travaillé par ce dilemme: extérieur ou intérieur? La présence du (soi-disant) fou dramatise juste un peu l’enjeu. Les films choisis par Passion Cinéma dans le cadre de ce cycle présentent des solutions «diverses»: Jean Rouch et Nicolas Philibert cultivent un art de l’entre-deux, une sorte de va-et-vient entre objectivité du réel et subjectivité de l’auteur et des «cas» qu’il filme. En grands plasticiens de la folie, Bergman et Ripstein, eux, donnent complètement corps aux hallucinations de leur personnages; quant à Pacino et à Godard, ils rendent caduque la sacro-sainte séparation que le cinéaste soi-disant sain d’esprit se devrait de respecter entre lui-même et ses personnages.

Vincent Adatte