«On va bien déguster!…»

    Caméra-stylo, programme n°195 |

      En partenariat avec le Programme Alimentation & Activité physique, Passion Cinéma présente 8 films pour mieux savourer notre rapport à la société, à la consommation et à la vie… des pirouettes du très bon vivant Gianni di Gregorio dans «Buoni a nulla», proposé en présence de l’acteur et réalisateur italien, aux merveilles de la nature dans «Le Meraviglie», Grand Prix à Cannes, en passant par la consommation des maux de «Still Alice», l’atmosphère très vorace de «Il Capitale umano», la renaissance de «Phoenix», la société de surconsommation de «Chappie» et l’aventure écologique du «Dernier Loup», sans oublier l’inoubliable et rapicolant «Festin de Babette», présenté en matinale par Passion Cinéma!

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      Vous souvenez-vous de «Soleil vert» (1973)? Réalisé par Richard Fleischer, alors au déclin de sa formidable carrière, ce film d’anticipation, dont l’action se situe en 2022, procédait d’une dystopie guère appétissante, porteuse qu’elle était d’un avenir gustatif fort peu enthousiasmant. Confrontée à la raréfaction inéluctable des produits naturels, un pouvoir fascistoïde contraignait l’humanité à se nourrir d’affreuses tablettes carrées jaunes, rouges ou bleues, aussi fades que survitaminées, avant de mettre sur le marché un nouvel «alicament», de couleur verte cette fois, fabriqué à base de cadavres d’hommes et de femmes librement euthanasiées! Cauchemardesque, cette vision d’une chaîne alimentaire réduite à sa plus simple expression avait marqué les esprits, certes plus par sa clairvoyance désespérante que par sa mise en scène assez quelconque.

      Papilles pupilles unissez-vous

      Vous rappelez-vous du «Festin de Babette» (1987) et de sa merveilleuse cuisinière française? Exilée au Danemark, cette maître queux nostalgique réussissait un jour de l’an de grâce 1885 à rabibocher le corps et l’esprit de ses très austères hôtes luthériens. Rarement la jouissance libératrice attachée à la nourriture n’aura été célébrée avec autant de subtilité, faisant littéralement saliver les papilles, pardon, les pupilles du spectateur. De «Soleil vert», l’on ressortait révulsé et affligé; du «Festin de Babette», avec un solide appétit et peu disposé à se rassasier d’un bête hamburger… Aïe, le redoutable effet K avait encore frappé, avec toute son efficacité!

      Un effet K qui dure

      Pour mémoire, le cinéaste soviétique Lev Koulechov avait théorisé dès 1921 cet effet de montage, en alternant un plan du visage de l’acteur Ivan Mosjoukine ne laissant transparaître aucune émotion particulière, avec celui d’une assiette de soupe, puis celui du cercueil d’un enfant, et enfin celui d’une femme lascive allongée sur un canapé. Questionnés après la vision de ce petit essai cinématographique, dont on n’a hélas trouvé aucune trace sinon des photos, les cobayes de cette expérience jurèrent avoir vu le grand Mosjoukine tour à tour saliver, puis s’attrister, avant d’afficher une expression soi-disant libidineuse. Le cinéma allait faire de ce champ-contrechamp aussi fondateur que manipulateur un sacré fond de commerce, le fameux effet K dont la publicité et la propagande useront et abuseront!

      Miroir aux alouettes

      Proposé en partenariat avec le Service de la santé publique du canton de Neuchâtel dans le cadre du Programme Alimentation & Activité physique, le nouveau cycle de Passion Cinéma ne se réduit pas à un simple menu de «films à manger» nourris d’effets K. Au gré des sorties, nous avons tenté d’élargir le propos avec, dans notre viseur, la critique drôle, tendre ou féroce des normes et standards relatifs à nos vies soi-disant réussies. A l’heure où l’imagerie numérique recrée à longueur de films le mythe du corps parfait, avec ce que cela suppose d’effets néfastes sur nous autres spectateurs imparfaits, il importe plus que jamais que le cinéma cesse parfois d’être un miroir aux alouettes, histoire d’essayer de refermer la boîte de pandore ouverte en son temps par ce cher Lev Koulechov… Un vœu pieu sans doute, mais bien des films s’y efforcent, dont ceux de notre programme!

      Vincent Adatte