«Oh les filles!»

    Caméra-stylo, programme n°205 |

      Du 18 mai au 21 juin, Passion Cinéma suit les regards portés sur les femmes par le septième art au masculin (à une exception près), à travers six films proposés en grande première. A l’image de Pedro Almodóvar dans «Julieta», Paul Verhoeven avec «Elle», ou encore Nicolas Winding Refn dans «The Neon Demon», tous trois en compétition au Festival de Cannes, les grands réalisateurs n’ont pas leur pareil pour sonder les âmes féminines au plus profond. Dans «Folles de joie», Paolo Virzì laisse même investir le monde par des femmes totalement déjantées, tandis que «Rosalie Blum» de Julien Rappeneau le réenchante façon Amélie Poulain. Quant à Rebecca Miller, seule réalisatrice au programme, elle se livre à une critique amusée de la comédie romantique dans «Maggie a un plan».

        ➔ consulter les horaires

        camera-stylo_205-06_WEB

        Outre qu’il fleure bon le parfum cinéphilique inégalable de la Croisette, avec trois œuvres très attendues figurant en compétition cannoise («Elle» de Paul Verhoeven, «Julieta» de Pedro Almodóvar et «The Neon Demon» de Nicolas Winding Refn), le dernier cycle de Passion Cinéma avant sa pause estivale est entièrement dédié à la femme, mais passée au filtre de la subjectivité masculine, qui a connu une évolution radicale durant ces dernières décennies. Seul à contrer ce point de vue, le délicat «Maggie a un plan» de Rebecca Miller, une critique amusée de la comédie romantique, un sous-genre cinématographique habituellement usiné par des cinéastes mâles.

        Inverser les stéréotypes

        Fer de lance d’une nouvelle industrie du divertissement exclusivement dirigée par des hommes souvent jaloux de leurs prérogatives, le cinéma a d’abord et longtemps servi à légitimer un modèle de société patriarcale «soft», où la femme était contrainte de jouer un rôle défini et dont toutes les répliques étaient coulées dans le bronze de l’oppression. Partant, il est passionnant d’observer à quel point son émancipation cinématographique a été rendue possible par des cinéastes homosexuels, contraints de dissimuler à l’écran ce qui était alors encore considéré comme une déviance. En réaction, dans leurs comédies «sophistiquées», ces «activistes» se plaisaient à subrepticement inverser les stéréotypes en vogue, faisant de leurs personnages féminins des décideuses pleines d’allant, confrontées à des hommes velléitaires, paralysés par la peur de s’engager.

        Sourires en coin

        Ainsi, malgré les années, des chefs-d’œuvre comme «I Was a Male War Bride» («Allez coucher ailleurs», 1949) de Howard Hawks ou «Adam’s Rib» («Madame porte la culotte», idem) de Georges Cukor ont conservé tout leur pouvoir de subversion jubilatoire, en attribuant à leurs «héroïnes» des qualités jusque-là dévolues aux représentants mâles. Le sourire en coin, ces réalisateurs prenaient aussi dans cette inversion une petite mais douce revanche, certes ourdie de façon clandestine, sur un système qui n’admettait pas leur différence, même si celle-ci, en société, tenait souvent du secret de polichinelle. Fassbinder hier, Almodóvar ou Todd Haynes aujourd’hui, les cinéastes bi ou homosexuels poursuivent cette «tradition», en demeurant des portraitistes hors-pairs de la psyché féminine.

        Subjectivité masculine

        Très inconfortables et plutôt éprouvants, «Elle» de Verhoeven et «The Neon Demon» de Winding Refn sont le fait de deux réalisateurs que l’on imagine volontiers hétérosexuels, en rapport à leurs filmographies et à ce que l’on sait de leur vie privée. Ils attestent de façon passionnante de l’état actuel et plutôt vaseux de la subjectivité masculine, dans leur manière très complice de jouer avec les stéréotypes liés à la féminité, portant sur leurs héroïnes un regard tantôt effaré, tantôt admiratif. Bien que soigneusement martyrisée par Verhoeven, Isabelle Huppert garde finalement intact ce mystère qui fait d’elle l’une des actrices parmi les plus fascinantes de l’histoire récente du cinéma. De l’avoir ainsi préservé, le réalisateur de «Basic Instinct» prouve qu’il est un grand cinéaste. De son côté, Winding Refn transforme le mannequinat et ses créatures faméliques et inexpressives en un véritable film d’horreur, faisant un sort à ce bien étrange creuset du fantasme masculin.

        Vincent Adatte