Les Infiltrés

A voir dimanche 28 mai 2017 à 21h sur France 2 |

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Contrairement à d’autres grands auteurs de sa volée (Brian de Palma, Michael Cimino, Francis Ford Coppola), le cinéaste américain Martin Scorsese survit très bien au «nouvel Hollywood». Echangeant fort à propos un Robert de Niro en bout de course contre l’une des icônes de la nouvelle génération des «stars» (Leonardo DiCaprio), Scorsese a pu garder le contact avec les Majors, malgré le ratage grandiose de «Gangs of New York» (2002). Après «L’Aviateur» (2005), biographie très réussie du fantasque milliardaire Howard Hugues (joué par DiCaprio), le réalisateur de «Taxi Driver» (1976) s’est attaqué au remake de «Infernal Affairs», un thriller made in Hong Kong réalisé en 2002 par Alan Mak et Andrew Lau.

De façon emblématique, «Les Infiltrés» («The Departed») commence par une séquence tirée des archives: celle-ci montre les émeutes raciales qui ont «dévasté» Boston au début des années soixante suite à l’abolition de la ségrégation. Sur un fond musical des Rolling Stones (la chanson «Gimme Shelter»), le parrain de la mafia irlandaise Frank Costello (Jack Nicholson) éructe des injures racistes… Après cette entrée en matière, Scorsese suit les trajectoires parallèles de deux gamins. Billy est le fils du seul Costigan resté honnête. De son côté, le petit Colin Sullivan a eu le malheur de rencontrer Costello dans un magasin qui l’a corrompu en un tournemain… Arrivés à l’âge adulte, les deux garçons ont suivi l’école de police avec des intentions très différentes: promu, Colin (Matt Damon) est chargé par son terrifiant mentor d’infiltrer les forces de l’ordre. Billy (DiCaprio) se voit offrir un tout autre plan de carrière. A l’injonction d’un capitaine habilement paternaliste (Martin Sheen) et d’un sergent des plus rudes (Mark Wahlberg), il accepte de noyauter le gang de Costello, passant par la case «prison» pour acquérir la crédibilité indispensable à son rôle.

Alors que Colin ne cesse de grimper les échelons de sa hiérarchie, Billy plonge dans une clandestinité qui le détruit à petit feu. Le hasard fait que les deux hommes fréquentent la même femme sans le savoir… N’en disons pas plus, sinon que cette partie de double va se terminer par un jeu de massacre dont l’ironie noire prouve que Scorsese se soucie comme d’une guigne du «politiquement correct» qui règne aujourd’hui sur Hollywood Boulevard. La jouissance que procure cette narration tordue, dont la tension va en augmentant, occulte un peu la portée de ce soi-disant film mineur. Confrontant deux générations, le cinéaste porte sur les deux figures paternelles et manipulatrices des «Infiltrés» un regard peu amène qui absout les deux «fils» devant supporter l’héritage. Jouant de manière virtuose sur l’effet de symétrie qui jette la confusion entre flics et voyous, Scorsese approfondit encore son thème de prédilection: la violence qui a fondé l’Etat de droit, notre malédiction à tous et à toutes, dont personne ne saurait se défaire. La dernière image de «The Departed» (que l’on peut avantageusement traduire par les «agonisants») est très symbolique: un rat (l’équivalent américain de notre «taupe») se promène sur un toit, avec, en arrière-plan, le dôme majestueusement doré du Parlement du Massachusetts! Uun thriller amer sur la transmission. Désespérément shakespearien.

The Departed
de Martin Scorsese
Etats-Unis, 2006, 2h30