«Les Films du Sud 2005»

Caméra-stylo, programme n°127 |

L’appellation Films du Sud est en soi assez vague, voire ambiguë. Entre nous, elle évoque plus le slogan aguicheur du catalogue standardisé d’une agence de voyages que les chefs-d’œuvre de Hou-Hsiao-hsien ou d’Abbas Kiarostami. Sur un plan strictement géographique, elle n’a guère de pertinence non plus, puisqu’elle désigne des réalisations qui peuvent provenir des horizons les plus divers, à l’exclusion d’Hollywood. Partant, le Sud se retrouve aux quatre coins du globe, du Laos au Mexique, en passant par la banlieue parisienne ou les bas quartiers hongkongais. Idem en termes de production: dans les listes des distributeurs dévoués à la promotion des Films du Sud, les spectacles fastueux «made in Bollywood» côtoient sans vergogne l’essai thaï numérique à cinq mille dollars ou la très modeste co-production franco-mauritanienne dont le montage financier a demandé une véritable débauche d’énergie. Face à un tel fourre-tout, l’on serait tenté de congédier séance tenante cette dénomination, sous le prétexte qu’elle manque de précision et embrouille l’esprit du cinéphile.

La chasse à l’hippopotame sur le Nil bleu

N’en faisons rien, car l’appellation incontrôlable Films du Sud est un magnifique symptôme, très révélateur de nos limites, qui nous renvoie malicieusement aux spectateurs naïfs des premiers âges du cinéma. Dans le catalogue des vues Pathé datant de 1911, une rubrique réunissait déjà des films exotiques sous l’intitulé Films du Sud, dont l’un des fleurons était «La chasse à l’hippopotame sur le Nil bleu» (1908) du célèbre cinéaste explorateur et colonisateur Alfred Machin. Sommes-nous vraiment si différents dans notre demande que ces spectateurs «primitifs» qui s’extasiaient de découvrir sur l’écran crayeux du cinématographe des terres sauvages encore jamais vues, alors que ces dernières avaient déjà été complètement balisées par le regard ethnocentriste de l’opérateur? Pourvus d’une conscience politique, qui manquait à nos aïeux contemporains des grands empires coloniaux, nous sommes tentés de répondre un peu trop hâtivement par l’affirmative. Certaines de nos réactions devraient pourtant nous incliner à la prudence.

L’invitation au vrai voyage

Suffit-il que l’un de ces cinéastes du Sud nous confronte à une opacité mystérieuse qui déjoue notre attente, et voilà que nous le rejetons, faute de comprendre! Notre bel esprit d’ouverture est mis à l’épreuve. Privés de nos habituels signes de reconnaissance, formatés par des années de compagnonnage avec l’aristotélisme pseudo-rationnel hollywoodien (l’intrigue, rien que l’intrigue), nous nous refusons soudain à l’aventure du sensible et déclinons l’invitation au vrai voyage. A chaque édition des Films du Sud, Passion Cinéma tente de glisser dans sa sélection l’un de ces joyaux rétifs à la colonisation des regards. Cette année, nous pourrons contracter la «Tropical Malady» d’un jeune cinéaste thaïlandais prodigieusement énigmatique. Agrippés à nos références comme à des bouées de sauvetage, nous évoquerons à son propos la construction biface de «Mulholland Drive» (2001), ce qui n’est déjà pas si mal en regard de la profonde déstabilisation que provoque le film de David Lynch. Le chef-d’œuvre déroutant d’Apichatpong Weerasethakul mérite pourtant plus d’engagement de notre part!

Vincent Adatte