«Les fantômes du politique»

    Caméra-stylo, programme n°193 |

      Du 15 novembre au 16 décembre, Passion Cinéma se fait l’écho d’une fin d’année très politisée à travers six films inédits, de la mémoire vive des «Ponts de Sarajevo» aux désillusions de «Mon père, la révolution et moi», en passant par la répression du «Cercle» et le massacre des innocents dans «The Search», sans oublier l’intégrisme destructeur de «Timbuktu» ou l’enseignement salvateur des «Héritiers».
      Et les cinéastes Aida Begic, Isild Le Besco, Leonardo Di Costanzo, Pedro Costa, Jean-Luc Godard, Kamen Kalev, Sergei Loznitsa, Vincenzo Marra, Ursula Meier, Vladimir Perišic, Cristi Puiu, Marc Recha, Angela Schanelec, Ufuk Emiroglu, Stefan Haupt, Michel Hazanavicius, Abderrahmane Sissako et Marie-Castille Mention-Schaar de nous renvoyer les reflets cinématographiques des sujets les plus brûlants du moment!

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      La politique et le cinéma entretiennent depuis toujours des rapports de connivence, qui prêtent à réfléchir. Pour mémoire, c’est la société de production Vitagraph qui a ouvert le feu en 1898, en produisant une bande traitant de la guerre éclair hispano-américaine qui eut lieu la même année, d’avril à août, et dont le titre avait au moins le mérite d’être clair («Déchirons le drapeau espagnol»). Par la suite, la Première Guerre mondiale a constitué le plus fertile des terreaux, chacun des pays belligérants s’efforçant de justifier son action avec l’arme du cinéma, devenu un outil de propagande indispensable pour convaincre les civils restés à l’arrière du bien-fondé patriotique de cette boucherie généralisée. Avec la montée en puissance des dictatures, cette complicité a pris des proportions assez inouïes. Cinéphiles convaincus, Hitler et Staline ont ainsi confisqué l’entièreté du cinéma de leurs pays respectifs à leurs fins idéologiques, alors qu’Hollywood s’est toujours évertué à traiter le film de propagande comme un genre parmi d’autres et ce, même au plus fort de la guerre froide.

      Tout est politique

      Depuis trois ou quatre décennies, la posture post-moderne aidant, les grands récits antagonistes ont disparu, et avec eux les films clivés qui les justifiaient. Par ailleurs, le slogan «tout est politique», né de la contestation de Mai 68 et répété jusqu’à l’absurde, s’est retourné contre ses hérauts extralucides. Saturée d’intentions cachées, de soi-disant complots doctrinaux, l’aire culturelle a fini par complètement se dépolitiser, laissant place à la seule frivolité consumériste, donnant des arguments aux Cassandres qui avaient prophétisé la fin de l’Histoire. Le cinéma français de cette époque exprime à merveille cette «mise sous vide» du politique avec de fort jolis films maniéristes comme «Le Grand Bleu» de Luc Besson, «Diva» de Jean-Jacques Beinex ou, plus proche de nous, «Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain» de Jean-Pierre Jeunet, qui n’avait vraiment rien de fabuleux à promettre aux générations futures.

      Retour de flamme

      Au jour d’aujourd’hui, comme en témoignent les films de notre dernier cycle de l’année, le politique fait son retour au cinéma, mais cette fois sans emboucher les grandes trompettes idéologiques d’antan, en avançant à tâtons dans le doute et l’incertitude. Cette résurgence n’est guère étonnante. Le modèle économique globalisé annoncé comme la panacée ultime tourne au cauchemar écologique, les grands machins internationaux s’enrayent, incapable de faire régner la concorde et la paix mondialisées promises. De toute évidence, cette réapparition n’est pas orchestrée par des Etats surpuissants ou des systèmes en mal d’endoctrinement, mais par des individus inquiets, à l’exemple des treize cinéastes européens qui ont voulu garder en mémoire vive Sarajevo, ou de Michel Hazavinicius qui, après des films de pur divertissement, certes très réussis, a mis en jeu sa carrière de cinéaste en s’engouffrant à ses risques et périls dans le trou noir tchétchène. Idem pour le Mauritanien Abderrahmane Sissako qui, sans renoncer à son cinéma de poésie immémorial, a voulu dénoncer le retour de vieilles lunes intolérantes, lesquelles, entre nous soit dit, manipulent à merveille les dernières technologies.

      Vincent Adatte