L’Enfance volée

A voir dimanche 16 juillet 2017 à 9h20 sur Arte |

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En 1985, le réalisateur Fredi M. Murer livrait l’un des sommets du cinéma suisse avec «L’âme sœur» («Höhenfeuer»), un chef-d’œuvre planté sur le flanc d’une vallée uranaise, où un paysan appliquait sa loi patriarcale à sa fille et à un «bouèbe» sourd-muet. Aujourd’hui, c’est en Emmenthal, à partir d’un épisode parmi les plus honteux de notre histoire, que Markus Imboden rappelle l’existence de la misère en Suisse et ses terribles conséquences. «L’Enfance volée» («Der Verdingbub») raconte le calvaire de ces enfants, orphelins ou de parents divorcés, qui, jusque dans les années 1960, ont été placés de force par l’Etat, avec la complicité de l’Eglise, dans des familles d’accueil désargentées, attirées par une main d’œuvre bon marché.

Après un passage à l’orphelinat, le jeune Max est confié aux Bösiger, des paysans qui habitent un grand chalet perdu dans la verdure de la vallée de l’Emme. Habile à la tâche, le jeune garçon l’est aussi à l’accordéon et fait montre d’une joie de vivre d’abord revigorante pour les Bösiger. Il faut dire que le père est alcoolique, la mère ignoble et leur fils frustré. Mais Max découvre qu’il est venu remplacer un autre enfant, disparu dans des circonstances obscures. A son tour, il ne tarde pas à se faire humilier, violenter et traiter comme une bête de somme. Il est bientôt rejoint dans son malheur par Berteli, une jeune citadine enlevée à sa mère…

A la faveur d’une photographie quasi impressionniste, Imboden (dont le père fût lui-même placé de force) pare son film de toute l’iconographie helvétique nécessaire, celle d’un pays montagneux d’où émane une beauté parfois discordante. En effet, le drame s’insinue peu à peu dans les lieux. La nuit tombée, dans la solitude des porcheries et des granges, le cinéaste montre en clairs-obscurs les visages marqués par les coups, les corps meurtris par les viols, tels ces carcasses d’animaux que l’on retrouve parfois dans les fosses. Il atténue cependant la dureté de ces séquences indispensables en montrant comment Max pacifie de façon illusoire et momentanée ses monstrueux parents de substitution. Interprété tout en retenue et avec très peu de dialogues par un jeune acteur à l’émotion contagieuse, le garçon porte alors en lui les rêves de toutes ces vies confisquées.

Der Verdingbub
de Markus Imboden
Suisse, 2011, 1h48