«Le cinéma italien, hier et aujourd’hui»

    Caméra-stylo, programme n°27 |

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      Hier

      Certes, l’émergence du courant néo-réaliste constitue sans doute l’un des événements les plus importants de l’histoire du cinéma d’après-guerre… Mais de là à réduire le septième art italien à ce seul courant, il y a un pas que l’on ne franchira pas.. Rappelons que l’Italie cinématographique, vers 1912-1914, a dicté sa voie (muette) au monde entier; influençant les cinéastes américains de l’époque. Idem pour la comédie dite à l’italienne, laquelle est inventée dans les années 30 par Mario Camerini.
      Cela dit, revenons au néo-réalisme: annoncée dès 1943, par Ossessione de Visconti, menée par Rossellini, sur un plan tant pratique que théorique, dans les ruines de l’immédiate après-guerre, la révolution néo-réaliste a été souvent définie par son seul contenu social. Il faut éradiquer cette réduction: le néo-réalisme se présente avant tout comme une nouvelle forme esthétique qui traduit un moment clef de l’histoire de la société occidentale: la catastrophe constituée par la deuxième guerre mondiale a dévasté le champ des valeurs, et le cinéma (européen) avec.
      L’homme ordinaire du néo-réalisme se meut dans un univers matériel et spirituel devenu quelconque, qui ne réclame plus de sa part des actions définies (comme dans le western américain où le héros arrive dans la ville pour rétablir la loi). C’est pourquoi, il devient plus un spectateur qu’un acteur, une sorte de voyant, qui explore une réalité ambigüe; de ce fait, la forme narrative adoptée par la plupart des films néo-réalistes tient de la ballade, mise en scène par des plans-séquences qui explorent un réel qui a perdu ses critères de reconnaissance — tel «Le Voleur de bicyclette» (1948), de Vittorio de Sica, qui erre dans une Rome méconnaissable à la recherche de son vélo.
      Accomplie par les Rossellini, De Sica et autres Visconti, la révolution néo-réaliste prend fin vers 1950: c’est que la reconstruction économique de l’Italie exige un réveil des illusions. Son influence n’en continuera pas moins de s’exercer, sur Fellini et Antonioni, qui débutent dans les années 50; le premier empruntant sa forme de ballade et conservant ses personnages d’exclus, le deuxième décrivant le malaise d’une bourgeoisie qui ne parvient pas à faire coïncider ses sentiments avec les mots d’ordre de la nouvelle ère.
      Dix ans plus tard, Pasolini tourne ses premiers films à la manière néo-réaliste pour prouver le scandale d’un boom économique qui a aussi favorisé la création d’un tiers-monde «européen». A la même époque, avec «La Commare secca» (1962), Bertolucci reconstitue d’une façon identique la dernière journée d’une prostituée… Le néo-réalisme est devenue une citation provoquante, lancée à la face d’un cinéma italien qui a retrouvé son conformisme.

      Aujourd’hui

      Le cinéma italien d’aujourd’hui passe, obligatoirement, par l’histoire de la télévision. Dès les années 50, un monopole d’état a limité au maximum la diffusion de films sur le petit écran — par exemple, les films ne passaient jamais le week-end. Dans les années 80, la libéralisation du marché audiovisuel fit sauter tous les verrous: les chaînes privées se multiplièrent et se mirent à diffuser des films de cinéma à toute heure du jour et de la nuit. Pour la seule année 1991, par exemple, les chaînes italiennes ont présentés pas moins de 6100 films… avec à la clé, bien évidemment, une baisse de fréquentation des salles — les spectateurs préférant voir leurs films à la maison: en 1980, il y avait en Italie 8500 salles de cinéma; aujourd’hui, il n’en reste plus que 300!
      Le public italien demeure pourtant féru de cinéma, qu’il regarde en cassettes vidéos ou à la télévision. Cela permet à l’Italie de maintenir un niveau de production de films très élevé — 129 longs métrages tournés en 1991, chiffre record; mais pour un résultat souvent médiocre. En effet, l’essentiel de la production se concentre sur un cinéma de consommation courante, essentiellement financé par la télévision privée berlusconienne: des comédies d’accès et de succès faciles, signées par des comiques célèbres qui s’improvisent metteurs en scène, comme Carlo Verdone, Francesco Nuti, Maurizio Nichetti ou Roberto Benigni.
      Dans les années 80, toutefois, est apparue une «nouvelle vague» de cinéastes dont les plus intéressants sont Ricky Tognazzi, Marco Risi ou Francesca Archibugi, et les plus âgés Pupi Avati ou Gianni Amelio. Généralement soutenus par l’étranger, par l’état et par la télévision publique (la RAI), ces cinéastes se font, plus ou moins consciemment, les défenseurs des valeurs sociales et politiques du néo-réalisme d’antan. Ils abordent le plus franchement possible des thèmes contemporains (la prison, l’enfance délaissée, la misère, la mafia, la corruption, le football); hélas, certains d’entre eux ne se démarquent qu’avec peine d’une mise en scène classique, qui évoque — sans le vouloir, peut-être — l’esthétique télévisuelle. Un «nouveau cinéma» que l’irréductible Nanni Moretti, 39 ans, qualifie parfois de «joli cinéma qui ne prend aucun risque», et face auquel il s’érige, à lui tout seul, en défenseur d’un vrai cinéma d’auteur italien. Nannni Moretti, auteur de «La Messa è finita», «Palombella rossa» ou «Caro diario», s’est alors fait producteur de jeunes réalisateurs, exploitant éclairé (il a ouvert une salle art et essai à Rome), et créateur d’un prix au film italien le plus méritant, le Sacher d’or.
      Nanni Moretti et ses «poulains» (Luchetti, Mazzacurati, Eronico, etc.) sont sans doute les seuls, en Italie, à offrir un cinéma délivré des clichés sociaux du néo-réalisme. Dans leurs films, éminemment personnels, ces trouble-fête se proposent en nouveau voyants de la réalité italienne contemporaine; quitte à s’opposer, bien seuls, à la dictature de la télévision privée qui, par le biais de Silvio Berlusconi, a désormais pris le pouvoir en Italie.