«La marge des possibles»

    Caméra-stylo, programme n°186 |

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      Aujourd’hui, tandis que la plupart des films se font fort de traiter des symptômes marginaux – déficiences mentales ou physiques, préférences sexuelles ou appartenances à des minorités –, les grosses productions ne dépassent pas le stade du stéréotype politiquement correct et assimilateur. En six longs-métrages, Passion Cinéma nous rappelle que le cinéma d’auteur ou indépendant aborde lui sans ambages les expériences liées à l’exclusion, en s’efforçant d’en restituer les altérités profondes. Sous l’intitulé «La marge des possibles», cette nouvelle sélection de films, même si elle est traversée d’éclats de douleur, explore à dessein, avec humour et gravité, la diversité des genres, du documentaire à la fiction, du mélodrame à la comédie, pour constater que le cinéma est le fidèle reflet de notre société.

      Myriades de communautés

      Certes, les phénomènes d’exclusion liés aux appartenances raciales et sociales sont apparus au cinéma dès ses débuts. Lorsqu’il tourna en 1914 «Naissance d’une nation», œuvre fondatrice du langage cinématographique, qui montre le Ku Klux Klan opérer une «régénération» de l’Amérique, David Wark Griffith n’avait sans doute pas conscience du sens conflictuel d’une telle fresque des Etats-Unis, nation «blanche» constituée d’une myriade de communautés disparates. Depuis, la ségrégation et l’intégration sont devenus des sujets cinématographiques récurrents et universels, de «The Immigrant» (1917) de Charlie Chaplin à «Vénus noire» (2010) de Abdellatif Kechiche, en passant par «Le Garçon aux cheveux verts» (1948) de Joseph Losey, «Tous les autres s’appellent Ali» (1974) de Rainer Werner Fassbinder ou «Do the Right Thing» (1989) de Spike Lee, etc.

      Marginal et expérimental

      Cependant, il a fallu attendre la libération des mœurs pour voir arriver des films décrivant l’oppression des différentes «minorités», ainsi barbarement qualifiées en raison de leurs religions, origines, préférences sexuelles ou handicaps… D’abord expérimental, ce cinéma à contre-courant procure des expériences sensorielles, sans nécessairement raconter des histoires, pour mieux remettre en cause les conventions établies par les bien-pensants. Détaché des contraintes formelles et narratives, ce «cinéma des marges lui-même marginal» exprime plus librement des opinions anti-conformistes ou aborde des sujets tabous, donnant une voix aux exclus, à commencer par les femmes ou les homosexuels.

      Gay par excellence

      Fort de ces prémisses expérimentales, puis de la relative et patiente inscription dans les circuits commerciaux de films alternatifs, le septième art participe désormais de front à tous les mouvements de reconnaissance des «marges». Depuis le sida, les films gays se multiplient en cernant toujours mieux leurs sujets, comme en témoigne l’exceptionnelle qualité du millésime 2013 («L’Inconnu du lac», «Ma vie avec Liberace», «Le Vie d’Adèle», «Violette»), auquel s’ajoute aujourd’hui «Les Garçons et Guillaume, à table!», film-phare de ce nouveau cycle. A son image, gageons que les films sur les handicapés, les personnes âgées, malades ou en rupture, les enfants oppressés ou les adultes à la sexualité dite «déviante», emprunteront le même chemin, comme les autres films précurseurs de cette sélection: «Henri», «Ne m’oublie pas», «Rêves d’or», «Suzanne» ou «La Vénus à la fourrure», lesquels nous démontrent qu’en se consacrant à la description des conditions d’existence de toutes les catégories sociales, le cinéma reste le plus naturaliste de tous les arts!

      Raphaël Chevalley