«La maison et le monde»

Programme n°210 |

Du 8 février au 21 mars, Passion Cinéma présente sept fictions qui vont et viennent entre le monde et nos maisons… sans oublier un documentaire aux enjeux bien de chez nous, «La Bataille du Gripen» de Frédéric Gonseth, proposé en présence du réalisateur.

LA MAISON ET LE MONDE

«La Maison et le monde» (1984), c’est le titre d’un film oublié, mais en tous points admirable. Cette œuvre tardive du cinéaste indien Satyajit Ray raconte comment, vers 1900, un grand bourgeois bengali plutôt éclairé permet à sa femme, jusque-là cloîtrée selon la tradition, de s’ouvrir au monde extérieur, à commencer par le palais où elle habite et dont certaines pièces lui étaient interdites. Ce faisant, elle prend conscience d’un univers en pleine mutation à tel point qu’il ne subsistera bientôt que des ruines de sa maison. De l’intérieur à l’extérieur, ce mouvement est consubstantiel au cinéma, art de l’espace qui a la capacité de faire surgir le temps, du moins quand il est en forme.

«ICI, C’EST CHEZ NOUS»

A travers huit films interposés et autant de perspectives, ce nouveau cycle de Passion Cinéma veut explorer la relation que nous entretenons avec ce «chez nous» qui, pour les uns, a tendance à dramatiquement rapetisser, jusqu’à parfois disparaître par anéantissement, alors que d’autres ont tendance à le projeter de façon inconsidérée, à l’agrandir démesurément par peur de l’altérité. Comme l’a si bien écrit le philosophe Emmanuel Levinas, «concrètement, la maison ne se situe pas dans le monde objectif, mais le monde objectif se situe par rapport à ma maison». A nouveau, le cinéma, avec son pouvoir d’objectiver ce qui n’est, à l’origine, toujours qu’un regard subjectif (un point de vue), n’a pas son pareil pour nous faire ressentir cette illusion perceptive et le péril mortel que peut représenter son objectivation à outrance (ce à quoi s’attèlent aujourd’hui Trump et consorts).

DOMESTIQUER L’ESPACE ET LE TEMPS

Dans un essai passionnant, le sociologue Christian Norberg-Schulz explique que la maison joue un rôle fondamental dans notre développement, dans le sens où «elle domestique des espaces sans limites et un temps sans fin pour les rendre supportables, habitables et compréhensibles à l’humanité». Elle est de ce fait indissociable de la construction de soi. Une fois encore, le cinéma a largement contribué à l’entretien de ce fantasme constitutif, ne serait-ce que par les innombrables cabanes en rondins dont il a parsemé les clairières si chères au western. Partant, on mesure l’immense désarroi que peuvent éprouver toutes celles et ceux qui, aujourd’hui, ne peuvent plus demeurer et sont, dès lors, condamnés à une errance déshumanisante, qu’il s’agisse de réfugiés politiques, économiques, climatiques ou d’exclus de tous bords.

HOME SWEET HOME

Chacun à leur façon, tous les films de notre cycle interrogent donc cette notion ambiguë du «chez nous» et du sentiment d’appartenance qui lui est lié. En guise d’exemples, l’étonnant documentaire «La Bataille du Gripen» de Frédéric Gonseth revient de façon ironique sur la votation relative aux avions censés défendre le «toit de la Maison Suisse», tandis que l’impressionnant «Silence» de Martin Scorsese échoue à agrandir au Japon la maison du Christ. Le remarquable «Chez nous» de Lucas Belvaux dépeint par la bande l’étouffoir que constitue le «home, sweet home» dans son abominable version Front national, et il n’est pas anodin que le personnage masculin et taiseux de «Loving», mélo sublime de Jeff Nichols, soit un maçon…

Vincent Adatte