De Valangin à Paris

Né François Balmer en 1946, le plus français des acteurs neuchâtelois s’est fait appeler Jean-François dès l’adolescence, parce que ses «acteurs préférés se prénommaient presque tous Jean» (comprenez Jean-Paul Belmondo et Jean-Claude Brialy). Après avoir grandi à Valangin, Jean-François Balmer monte à Paris. En 1968, il se présente au Conservatoire national supérieur d’art dramatique et fait partie des 11 sélectionné·es (sur 550 inscrit·es). Ses camarades se nomment désormais Isabelle (Huppert et Adjani), Nathalie Baye, Richard Berry ou Francis Huster…

En 1973, il fait ses débuts au cinéma en incarnant, aux côtés de jeunes comédiens prometteurs comme Jacques Weber et Jacques Spiesser, un réserviste de la guerre d’Algérie dans «R.A.S» de Yves Boisset. Balmer décroche aussitôt une série impressionnante de seconds rôles qu’il incarne avec justesse grâce à son regard incisif, sa bonhommie, la subtilité de son flegme naturel et son timbre caractéristique, parfois trainant et un brin nasillard. Jeune commissaire en proie au doute dans «La Menace» d’Alain Corneau, qui lui vaut une nomination aux César en 1978, il joue par exemple les ripoux perfides dans «Flic ou voyou» (1979) de Georges Lautner ou les aventuriers maladroits dans «L’Africain» (1983) de Philippe de Broca.

En 1984, Jacques Bral lui offre son premier grand rôle dans «Polar», où Balmer interprète de façon mémorable un détective privé à la dérive. La même année, il signe sa première collaboration avec Claude Chabrol, qui le dirigera à quatre reprises, notamment en Charles Bovary (photo), personnage flaubertien qu’il incarne au plus près, et en inquiétant Monsieur K dans «Rien ne va plus» (1997).

Quand bien même le cinéma ne lui a pas toujours offert les rôles lui permettant de déployer tout son potentiel, Balmer a ainsi bâti une filmographie qui réunit des personnages saisissants, comme le magistral Louis XVI de «La Révolution française» de Robert Enrico (1989). Et cela tout en poursuivant une carrière importante sur le petit écran, notamment en commandant Rovère dans la série «Boulevard du Palais» (1999-2017), sans oublier les planches, où ses rôles principaux l’ont conduit trois fois aux Molières.

En 2020, dans la pièce «Le CV de Dieu» donnée au théâtre à Neuchâtel lors d’un instant de répit pour la culture, Jean-François Balmer incarnait Dieu. Un rôle à la mesure de cet homme qui a toujours su voir grand?

A propos de «Madame Bovary»
Paru en 1857, le célèbre roman de Gustave Flaubert a fait l’objet de maintes adaptations cinématographiques signées par de grands noms de l’histoire du cinéma. Au bénéfice d’une connaissance très approfondie de l’œuvre, Claude Chabrol s’en est acquitté à la lettre, allant jusqu’à respecter les rythmes mêmes de sa narration. Jouant la carte de la fidélité, il propose une lecture très naturaliste qu’il met en plus à l’épreuve de la comparaison en insérant plusieurs fois dans son film des passages originaux du livre lus par François Périer. De tous les Charles Bovary transposés à l’écran, celui de Jean-François Balmer est celui qui incarne au plus près le personnage flaubertien: il faut le voir prononcer l’inoubliable «C’est la faute à la fatalité», après la terrible agonie de sa femme que le cinéaste rend aussi insupportable à voir que dans le roman! L’interprétation, impressionnante, d’Isabelle Huppert confère à Emma Bovary une dimension féministe plutôt étrangère à la conception que se faisait sans doute Flaubert de son personnage, provoquant un décalage sans doute voulu par un cinéaste soucieux d’apposer quand bien même sa griffe.
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A propos de «Rien ne va plus»
Cinéaste de génie qui sut développer une philosophie d’auteur différant diamétralement de celle de ses pairs, Claude Chabrol s’est parfois amusé à jouer avec le·la spectateur·trice dans des comédies policières ludiques telles que «Rien ne va plus», petite merveille de cinéma sur les méfaits de l’argent portée par des acteurs éblouissants. Michel Serrault et Isabelle Huppert incarnent un couple d’escrocs vivant de petites combines criminelles: elle, elle lève les pigeons dans les beaux palaces et hôtels, tandis qu’il prend un soin et un plaisir malin à les délester de leurs portefeuilles. Tout se passe comme sur des roulettes, jusqu’au jour où ils tombent sur un très gros gibier, un homme d’affaires véreux (Francois Cluzet) qui transporte des centaines billets de cinq cent francs suisses… Avec un humour d’une finesse absolue, Chabrol manie une caméra goguenarde et dédramatise les situations les plus périlleuses, faisant preuve d’un cynisme gourmand et respectueux, tout simplement jouissif. Le film contient notamment une scène d’anthologie: le face à face entre nos charmants voleurs et un terrible mafieux formidablement joué par Jean François Balmer. Un pur plaisir à consommer sans modération!
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