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De la pluie de grenouilles de «Magnolia» (1999) au jaillissement pétrolifère de «There Will Be Blood» (2007), le cinéaste américain Paul Thomas Anderson s’est imposé comme l’un des plus grands réalisateurs de son temps. Après la dérive sectaire de «The Master» (2012), où il démythifiait le pouvoir et la soumission, il retrouve Joaquin Phoenix pour un polar hippie totalement allumé, inspiré d’un roman de l’écrivain américain Thomas Pynchon – paru en 2010 sous le titre «Vice caché».
1970. Doc Sportello (Joaquin Phoenix) est un détective privé fumeur de joints, souvent pieds nus et toujours pété, qui habite dans une petite ville balnéaire de Californie. Bien qu’il reçoive ses clients dans une clinique médicale, perché sur une chaise de gynéco, son ex-petite amie Shasta apparaît à son domicile pour lui demander de retrouver le milliardaire qu’elle fréquente. Par amour, Doc se lance dans de fumeuses investigations, armé d’un petit calepin où il prend soin de noter des indices évocateurs, comme «paranoïa» ou «hallucination». Fidèle au grain et à la lumière d’un tournage en pellicule, Paul Thomas Anderson atteint une esthétique somptueuse, émaillée de nuances orange et bleues, et portée par la musique brumeuse de son compositeur fétiche Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead), enrichie de deux titres de Neil Young, juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans les afféterie «juke-box» de ses paires auteurs hollywoodiens…
Fort de l’ambiance psychédélique issue des visions éthérées de Doc, le réalisateur parsème le cadre et la profondeur de champ d’une iconographie foisonnante de détails incongrus, qu’il prend soin de ne jamais appuyer, tels les agents du FBI qui se curent le nez ou les gardes enturbannés d’un hôpital armés de kalachnikovs. Grâce à un humour à combustion lente et à un casting grandiose (Joaquin Phoenix, Josh Brolin, Owen Wilson, Reese Witherspoon, Benicio Del Toro…), Anderson réussit une fresque hallucinogène mêlée d’absurde et de fantasmes, parfois érotiques, d’où émane un second degré irrésistible. Dès lors, il nous invite à apprécier d’une part sa reconstruction du film noir, dont il reprend les figures principales et l’intrigue touffue, d’autre part son hommage à une Californie révolue, à un moment où les Etats-Unis croyaient se libérer du conservatisme et de la corruption. Autant de mutations que le cinéaste pousse à considérer avec un regard mélancolique, à la seule condition d’accepter son délire!
de Paul Thomas Anderson
Etats-Unis, 2015, 2h29
