«Image(s) de la Suisse»

Caméra-stylo, programme n°181 |

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Dernièrement, nous avons pris part à une discussion avec des spécialistes de l’éducation à l’image de la Haute Ecole pédagogique de Zurich, dans la perspective d’organiser un concours de scénarios au sein des écoles, aux niveaux primaire, secondaire et supérieur, à l’échelle nationale. Si nous nous sommes très vite entendu sur l’idée d’attribuer un grand genre cinématographique par niveau, la question de cette attribution a suscité un vif débat. Sans trop barguigner, tout le monde est tombé d’accord pour associer les primaires au cinéma d’animation, lequel constitue un véritable creuset créatif pour les plus jeunes qui n’ont pas encore trop bridé leur imaginaire. Le consensus a volé en éclats (fort pacifiques) dès lors qu’il s’est agi de distribuer les deux autres grands genres envisagés, soit le documentaire et la fiction. Certains penchaient naturellement pour octroyer la fiction au secondaire et le documentaire au supérieur. Pour notre part, nous inclinions à penser le contraire, dans le sens où les adolescents ont grand besoin de se frotter au réel, ce que permet la démarche documentaire, à la condition qu’elle soit présentée et pensée comme une possibilité de découverte.

Le documentaire suisse plébiscité

Nous étions aussi d’avis que, dans un pays (apparemment) sans histoire comme la Suisse, la fiction est un piège séduisant, nécessitant une certaine maturité pour éviter ou subvertir les stéréotypes d’importation charriés par tant de séjours prolongés devant les petits écrans, d’où notre sentiment qu’il fallait la confier aux lycéens. A ce jour, aucune décision n’a été prise et la discussion promet d’être encore longue! Font cependant écho à ce différend passionnant, les derniers chiffres de fréquentation liés aux films suisses distribués en salles. De façon massive, le public a en effet plébiscité des documentaires comme «More Than Honey» (proche des 200’000 entrées), «Hiver nomade» (plus de 60’000 spectateurs) ou encore «Sâdhu» (24’000 zélateurs en Suisse romande), réservant un accueil bien tiède aux œuvres de fiction, à l’exception de «L’Enfance volée» et, dans une moindre mesure, du superbe «L’Enfant d’en haut».

A l’ère préindustrielle du cinéma

Loin de nous l’idée de traiter le public suisse d’ado, mais, de fil en aiguille, il n’est pas interdit de penser que cet engouement sans précédent ne traduise une volonté de se saisir du réel et ce, avant que l’industrie audiovisuelle ne s’en empare et ne le resserve sous forme de produits prédigérés par l’instance de diffusion. Le désir d’authenticité est un trait typique de l’adolescence et il est bon qu’il perdure. Partant, tout bon cinéaste documentaire sait qu’il doit appréhender ses sujets comme si c’était la première fois, dans l’espoir de défricher et déchiffrer leur vérité propre. En ce sens, il appartiendra toujours à l’ère préindustrielle du cinéma (ou au temps de son adolescence, c’est selon) et devrait même le revendiquer pour attester de la sincérité de sa démarche. Dans un pays perclus de clichés comme la Suisse, réaliser un film documentaire procède donc de l’opération de sauvetage, pour préserver l’intégrité du spectateur et la jeunesse de son regard. En se rendant en masse à ces projections salvatrices, le public ne s’y trompe pas!

Vincent Adatte