La Fureur de voir

Né en 1968 à Lausanne, Manuel von Stürler a commencé par se faire l’oreille en étudiant le trombone, le piano et la composition au Conservatoire de Neuchâtel notamment. En 2008, Von Stürler délaisse l’ouïe pour se vouer au cinéma, art du regard par excellence. En la circonstance, ce détail biographique n’est pas sans importance… Quatre ans plus tard, le cinéaste signe «Hiver nomade», qui décrit une transhumance que notre urbanisation galopante rend de plus en plus ardue.

Fort du Prix du meilleur documentaire européen, Von Stürler aborde dans «La fureur de voir» le sujet qui a peut-être été décisif dans son changement d’orientation, et pour cause! A l’âge de huit ans, on lui a annoncé qu’il serait sans doute aveugle à l’âge adulte. Le diagnostic était un brin pessimiste. Aujourd’hui, le cinéaste a certes une vue très limitée, mais il en distingue encore assez pour nous délivrer ce film à nul autre pareil, où il se lance dans une quête introspective pour tenter de comprendre la maladie qui affecte dangereusement sa vision. En effet, quoi de plus vital que l’œil pour un cinéaste?

Dans une séquence d’ouverture d’une beauté ineffable, Von Stürler raconte un rêve en filmant les rais de lumière filtrés par les persiennes des volets de son appartement: il se trouve dans une forêt plongée dans le noir, cherchant vainement un interrupteur pour y voir plus clair. Confronté au risque de cécité depuis son enfance, le réalisateur documentaire va s’efforcer de déjouer la sentence inéluctable en transformant sa «fureur de voir» en un voyage initiatique à la découverte de l’univers fascinant et méconnu de la vision. De manière bouleversante, il dévoile alors sa recherche du diagnostic «juste» et d’un traitement possible, qu’il commente avec un brin d’ironie distancée, ne pouvant s’empêcher d’admirer les prouesses de son cerveau qui réussit à pallier sa vue défectueuse.

Von Stürler va aussi au-devant d’individus qui partagent son infortune, à l’instar de maints habitants de la mystérieuse île de Pohnpai, en Océanie. Frappés d’achromatopsie, ils ne distinguent plus les couleurs. Ailleurs, une femme qui teste un implant rétinien s’extasie devant la beauté d’un extincteur dans le couloir où elle fait ses premiers pas de «voyante»… A voir absolument, sans mauvais jeu de mot!

de Manuel von Stürler
Suisse/France, 2017, 1h25