«Films à fleur de peau»

    Caméra-stylo, programme n°194 |

      Du 4 janvier au 17 février 2015, en partenariat avec le Muséum d’histoire naturelle et sa fascinante exposition consacrée aux émotions, Passion Cinéma propose huit films inédits pour mieux rêver, rire, frissonner, pleurer, s’indigner ou se sentir le cœur plus léger: de la folie pure des «Nouveaux Sauvages» à la plénitude de «Yalom – La Thérapie du bonheur», en passant par le sourire chagrin de «La Rançon de la gloire», la séduction universelle de «Homo Faber (Trois Femmes)» ou les sentiments contradictoires de «Broken Land», sans oublier la mémoire salvatrice des «Souvenirs», la désespérance de «Durak» et le courage de «Difret». Avec, en prime émotionnelle, les présences de Richard Dindo, Sabine Gisiger ou encore Stéphanie Barbey et Luc Peter, ce premier cycle de l’année 2015 ne laisse personne de marbre!

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      Le cinéma ne fut pas tout de suite le formidable vecteur d’émotions qu’il incarne aujourd’hui. Observateurs attentifs de ses premiers balbutiements, plusieurs écrivains ont couchés sur le papier leur étonnement. Ainsi, le russe Maxime Gorki, en découvrant les «vues» des frères Lumière vers 1896, décrit de vagues silhouettes qui se meuvent dans une vague atmosphère crayeuse, tels des fantômes. A lire les témoignages de ces hommes de plume, le spectacle de «l’image en mouvement», comme on disait à l’époque, fut d’abord considéré comme une étrangeté, un drôle de phénomène, alors peu en mesure de nous faire battre le cœur plus vite, d’activer jusqu’à la crampe nos zygomatiques ou de faire la preuve d’une connexion neurologique entre nos glandes lacrymales et notre cerveau dit «émotionnel». Par chance, il y eut l’exception de «L’Arrivée du train en gare de La Ciotat», dont on a rapporté qu’elle aurait effrayé certains spectateurs, au point qu’ils en seraient tombés de leurs chaises!

      Un train et c’est parti

      L’effet de frayeur est dû, on le sait, à la position de la caméra: installée sur le quai, elle cadre de manière frontale le train qui surgit à l’horizon pour s’approcher toujours plus du spectateur. Sans le savoir, Louis Lumière, photographe de talent, avait inventé non seulement la notion de profondeur de champ, dont l’usage à des fins dramatiques allait connaître une belle fortune, notamment dans les westerns, mais aussi l’échelle des plans, puisque son train dans sa progression inéluctable passait du plan d’ensemble au plan rapproché. Une décennie plus tard, l’Américain David W. Griffith a su parachever la chose en faisant du gros plan de visage un vecteur émotionnel à très forte intensité, à même de capter les réactions les plus intimes de ses personnages. Partant, le cinéma s’est métamorphosé en une véritable machine à susciter les émotions. D’autres grands cinéastes ont encore perfectionné le dispositif, lui ajoutant par exemple, le raccord-regard qui permet d’identifier la cause de telle ou telle réaction, un jeu de relation que le Soviétique Lev Koulechov avait théorisé au début des années 1920 par le biais d’expériences de montage à l’origine du légendaire effet Koulechov.

      Le cinéma à la plage

      Dans le cadre de l’exposition du Muséum d’histoire naturelle, l’Association Passion Cinéma a été invitée à participer à la création d’un open air émotif très particulier, auquel on peut assister dans l’une des premières salles à visiter, reconstituée en croisette océanique, avec cabines de bain ad hoc. Une sélection de quatre-vingts extraits de films «de plage», soigneusement choisis par Adeline Stern, y démontre la disposition formidable du cinéma à fabriquer de l’émotion. En visionnant ce montage, dont on laisse deviner au spectateur l’ordonnance secrète ayant présidé à sa création, on se rend compte que nombre de grands réalisateurs ont filmé des séquences sur une plage, espace ambivalent, à la fois ouvert et confiné, qui peut inspirer les sentiments les plus divers, tels que la joie, le dégoût, l’indignation, la terreur, la ferveur, la pitié, etc. Des créateurs comme Federico Fellini, John Ford, François Truffaut, Luchino Visconti, Harmony Korine, les frères Taviani, Asghar Farhadi, Wes Anderson, François Ozon, Martin Scorsese, Miguel Gomez, Charlie Chaplin, Jacques Tati, et tant d’autres encore, ne s’y sont pas trompés…

      Vincent Adatte