«Faux et usage de faux»

Caméra-stylo, programme n°171 |

En partenariat avec le Laténium, dans le cadre de l’exposition «L’âge du Faux», Passion Cinéma scrute la vraisemblance, le mensonge, l’hypocrisie et les apparences trompeuses en tous genres, avec des œuvres inédites: «Drive» de Nicolas Winding Refn, «Contagion» de Steven Soderbergh, «La Source des femmes» de Radu Mihaileanu, «Les Neiges du Kilimandjaro» de Robert Guédiguian, «A Dangerous Method» de David Cronenberg, «Toutes nos envies» de Philippe Lioret et «Le Monde de Barney» de Richard J. Lewis… Sept films présentés en grande première qui célèbrent l’art du faux dans toute sa splendeur cinématographique!



Comme le montre l’exposition passionnante à découvrir au Laténium, certains archéologues, par soif de reconnaissance, n’ont pas hésité à jouer aux faussaires, trompant le grand public avide de connaître le passé qui l’a fondé. Mais, niveau duperie, le cinéma n’a pas été en reste… Selon maints témoignages, les tout premiers spectateurs de l’histoire du cinéma ont eu de la difficulté à assimiler les films («les vues» comme on disait) à la réalité. Ils y discernaient plutôt un ballet de fantômes à cause de l’aspect crayeux des images, dû au manque de sensibilité de la pellicule et au maquillage outrancier dont on affublait les acteurs pour les rendre plus visibles. Cela n’a pas duré, par la grâce du montage et de moyens techniques de plus en plus perfectionnés, le septième art a gagné en réalisme et, surtout, en vraisemblance! Aspirant depuis toujours au parlant, le cinéma a atteint au début des années trente un premier idéal de reproduction technique.

Tels des criminels

L’avènement du Parlant a permis la parfaite concordance entre le réel et son double cinématographique que les cinéastes à la solde d’Hollywood ont réalisé avec toujours plus d’efficacité. Tels des criminels, ils se sont ingéniés à effacer toutes traces de leurs interventions, laissant accroire la possibilité d’un rapport quasi naturel, transparent, entre cinéma et réalité. Mensongère, cette conception a entraîné la disparition de l’artiste en tant que subjectivité créatrice et le basculement du cinéma dans l’industrie culturelle. A l’époque, seul Orson Welles et quelques autres ont tenté de restaurer la souveraineté de l’artiste, en essayant de faire valoir la prééminence de la forme dans la représentation cinématographique. D’une manière autrement dramatique, la propagande s’est saisie de ce bel outil, ses sirènes redoutables envoyant à la mort des millions de personnes crédules. Après la Deuxième Guerre mondiale, les cinéastes éthiques se sont faits fort de remettre en question ce modèle mortifère, la génération d’auteurs née dans ces décombres faisant du faux raccord, de la non concordance entre le son et l’image, et autres subversions, leur planche de salut, le pieux Godard en tête!

Une entreprise de santé publique

A l’ère magique du numérique, le cinéma est aujourd’hui en passe de réaliser un nouvel idéal de reproduction technique, capable de plier le réel à ses songes les plus improbables. Partant, il importe plus que jamais de valoriser les œuvres qui creusent notre rapport à la réalité, remettent en question le modèle cinématographique dominant qui, plus que jamais, pratique un art suprême de l’effacement de ses conditions d’énonciation! Inédits, les films proposés par Passion Cinéma s’attellent à cette «entreprise de santé publique» traitant de manière très diverse la question de la vérité et de son corollaire le mensonge, des contes sociaux volontaristes de Guédiguian («Les Neiges du Kilimandjaro») et Mihaileanu («La Source des femmes»), à la charge contre le scientisme psychanalytique portée par Cronenberg («A Dangerous Method»), en passant par la violence «bigger than life» de Winding Refn («Drive») ou la rumeur contagieuse alimentée par Soderbergh («Contagion»), sans oublier l’Alzheimer faussaire de Richard J. Lewis («Le Monde de Barney») et les dérives publicitaires pointées par Philippe Lioret («Toutes nos envies»).

Vincent Adatte