Fair Traders

Sous nos latitudes romandes, le Soleurois Nino Jacusso n’est de loin pas le cinéaste suisse le plus connu. Ce dernier développe pourtant depuis près de quatre décennies une filmographie passionnante où il alterne les genres avec une aisance remarquable. Versant fiction, on lui doit notamment «Escape to Paradise» (2001), comédie aigre-douce sur notre politique d’asile, et «Shana» (2014), film estampillé «jeune public» tourné au Canada où il raconte la quête d’identité d’une jeune ado amérindienne. Côté documentaire, ce cinéaste italo-suisse s’est fait connaître avec «Chuchotements dans la classe» (1980), vaste fresque sociale qui décrivait avec une sensibilité aigüe le malaise adolescent de l’époque.
Avec «Fair Traders», Jacusso poursuit dans la veine d’un cinéma du réel engagé en dressant le portrait réconfortant de deux femmes et d’un homme qui ont encore foi en une économie équitable, où le commerce n’est pas inévitablement synonyme de catastrophe sociale et environnementale, pour peu que l’on se préoccupe encore d’éthique! Ses trois héros ordinaires ont pour point commun d’avoir faussé compagnie à un quotidien confortable, après avoir vécu une crise existentielle suscitée pour une grande part par l’évolution alarmante de notre société.
Ex-directrice d’une agence de marketing très florissante, l’Allemande Sina Trinkwalder s’en est extraite du jour au lendemain pour se lancer dans la production de vêtements «zéro déchet» en engageant des parias du marché du travail, ses «ladies», comme elle les appelle, pour la plupart des femmes en fin de droits, dans la cinquantaine. Idem pour le Suisse Patrick Hohmann, un ingénieur en textile et ancien commerçant spécialisé dans le fil, qui, depuis 1983, développe en Tanzanie et en Inde deux projets d’envergure dévolus à la culture du coton bio, lesquels constituent des modèles d’économie «fairness»… Enfin, plus près de nous, Claudia Zimmermann a abandonné sa carrière d’enseignante pour ouvrir à Lüterkofen, village de la campagne soleuroise, un «bioladen» exemplaire où elle vend des produits issus d’une culture et d’un élevage respectueux de la nature, dont ceux de la ferme où elle œuvre avec son mari.
Après s’être en quelque sorte réapproprié le cours de leurs existences, les trois protagonistes de «Fair Traders» ont cru à leur démarche entrepreneuriales alternatives, en dépit de toutes les difficultés et embûches rencontrées. Aujourd’hui, Sina, Claudia et Patrick en parlent avec humour et lucidité, faisant un sort à la fameuse marge bénéficiaire, parole d’évangile torve d’un capitalisme mortifère, forgeant des concepts éclairés, tel celui de croissance qualitative (et non plus quantitative)… Et si c’était celui-là, le vrai feel-good movie de l’été?

de Nino Jacusso
Suisse, 2019, 1h30