«En avant jeunesse!»

    Caméra-stylo, programme n°192 |

      Du 1er octobre au 4 novembre, Passion Cinéma prend le pouls cinématographique de la jeunesse d’aujourd’hui à travers six films projetés en grande première. De la relation mère-fils sublimée par Xavier Dolan dans «Mommy» aux interrogations contemplatives des jeunes gens de «Still the Water» de Naomi Kawase, en passant par les affirmations identitaires de «Bande de filles» de Céline Sciamma ou la cavale d’une jeunesse déboussolée dans «Geronimo» de Tony Gatlif. Sans oublier les récits initiatiques de «Pause» de Mathieu Urfer et «Cure – The Life of Another» de Andrea Štaka, proposés en présence de leurs auteurs.

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      Avec le cycle «En avant jeunesse!», Passion Cinéma veut éclairer de sa flamme six sorties ayant pour point commun leur volonté d’en découdre avec les clichés qui collent aux basques de la jeunesse actuelle. De l’avis des spécialistes, le concept d’adolescence apparaît vers la fin du XIXe, intrinsèquement lié à la législation du travail qui interdit aux enfants de travailler, mais s’impose surtout après la Deuxième Guerre mondiale, au sein d’une société prospère et donc plus propice à l’individualisation. Le cinéma reflète très bien cette «chronologie». A part le garnement qui se fait fesser dans «L’Arroseur arrosé» (1895), les frères Lumière n’ont guère filmé que des poupons ou des adultes dans leurs «vues» fondatrices. Idem pour le grand Méliès qui privilégie les mages barbus et les fées girondes pour ses films à trucs.

      Muet et sans ados

      Si les enfants jouent parfois les premiers rôles dans les films de l’ère muette (pensons au sublime «Visages d’enfants» de Jacques Feyder ou au «Kid» de Charlie Chaplin), les adolescents n’y ont pas encore droit de cité. De façon révélatrice, il faut attendre l’avènement du cinéma parlant pour qu’ils se fassent entendre. C’est Jean Vigo, le premier, qui leur a accordé toute la place dans l’inoubliable «Zéro de conduite» (1933) où il restitue la rébellion de jeunes collégiens en butte à une institution scolaire tyrannique, en toute poésie, avec une liberté de ton merveilleusement subversive. De façon symptomatique, le film est interdit pour son soi-disant ton anti-français et n’obtient son visa d’exploitation qu’en 1945, après la Libération.

      Premières blessures

      Après-guerre, à l’heure où la société découvre le temps libre et l’oisiveté, plusieurs grands films portant sur l’adolescence ont vu le jour. En France, Roger Leenhardt décrit dans «Les Dernières Vacances» (1947) un été passé en famille du point de vue d’une jeune fille, faisant affleurer toutes les blessures secrètes que l’on s’inflige à cet âge-là. En 1952, Ingmar Bergman raconte par le biais de «Monika» l’éveil à la sexualité, un film dont la douloureuse véracité a marqué toute une génération. De son côté, le cinéaste américain Nicholas Ray réalise aux Etats-Unis «La Fureur de vivre» (1955) avec James Dean, qui condense de façon fulgurante les grandes thématiques liées à l’adolescence: découverte du sexe, révolte contre l’ordre établi (et la famille), besoin de séduire, perte des illusions de l’enfance. Quatre ans plus tard, François Truffaut atteint dans «Les Quatre Cents Coups» à la plus grande vérité avec le concours d’un interprète âgé de quinze ans nommé Jean-Pierre Léaud…

      Pour le meilleur et… le pire

      Hollywood flaire le filon. Mais de la complexité confuse de l’adolescence, l’Usine à rêves ne retient que la bête séduction piquetée de plaisanteries souvent potaches, lançant le genre du «teen-movie» à la descendance prolifique, pour le meilleur («American Graffiti», «Spider-Man») et hélas le pire («American Pie»)! Qu’importe, car de grands cinéastes persistent toujours à s’en remettre à la jeunesse pour nous donner des nouvelles du monde. Il n’y a pas d’indicateur plus fiable pour juger de l’état de notre société, comme en ont témoigné Gus Van Sant («Elephant»), Sofia Coppola («Virgin Suicides»), les frères Dardenne («La Promesse») ou Harmony Korine («Spring Breakers»), etc. On peut leur ajouter aujourd’hui, les Tony Gatlif, Céline Sciamma, Xavier Dolan et autre Andrea Štaka, têtes d’affiche du présent cycle.

      Vincent Adatte