Déjà s’envole la fleur maigre

de Tony Gatlif |
avec les ouvriers et habitants de Flénu

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    Film-météore, unique et inclassable, «Déjà s’envole la fleur maigre» peut être considéré comme une prémonition géniale de l’évolution actuelle du cinéma dit documentaire, plus précisément de son dépassement. Le premier et dernier long métrage (à ce jour) du cinéaste wallon Paul Meyer est à l’origine une commande du gouvernement belge; cette commande a été passée à Meyer pour la réalisation d’un court métrage documentaire destiné à illustrer la politique d’intégration des enfants de travailleurs immigrés.

    Fin 1959, après quelques jours de tournage, Meyer comprend qu’il est en train de tourner un film de propagande; soucieux de montrer et de faire comprendre la situation à laquelle il est confronté, le cinéaste réalise alors, sans moyens, un long métrage qui procède par une mise en fiction du réel. Avec un sens plastique étonnant, il remet en scène la première journée d’une famille d’immigrants siciliens arrivé dans le Borinage belge, une région charbonnière en déclin. Inventant une manière inédite d’empathie (ce terme désigne la faculté de se mettre à la place d’autrui) cinématographique, Meyer parvient à exprimer les réalités de la condition de l’immigré par le biais d’un traitement poétique extraordinaire (donc subjectif) qui ne saborde jamais l’altérité du sujet. On le sait aujourd’hui, la réussite de cette rencontre, pure merveille d’équilibre, est due à la capacité d’écoute et d’observation du cinéaste, conjuguée à une volonté d’indépendance irréductible; pour preuve, en 1956, Meyer a été viré de la télévision flamande pour avoir tourné une fiction très documentée qui montre une mère introduisant sa fille au droit de cuissage du patron de son usine.

    Présenté en 1960, au festival de Poretta Terme, Déjà s’envole la fleur maigre remporte le Prix de la critique délivré par un jury où figurent, entre autres, Fellini, De Santis et Visconti. Effrayé par le succès (et la force d’expression de ce pamphlet indirect), l’Etat belge accuse Meyer de l’avoir trompé. Forcé de rembourser la somme payée par l’Etat, le cinéaste ronge son frein pendant 30 ans à la télévision francophone où il est très surveillé. Ce n’est qu’au début des années 80 que les historiens du cinéma belge, conscients de la valeur inestimable de son film, entreprennent de le «réhabiliter».

    Belgique, 1960, noir et blanc; 1h25, programme n°33