«De Fellini à Moretti»

Caméra-stylo, programme n°59 |

Opérons d’abord un bref retour en arrière. Juste après la deuxième guerre mondiale, sur les ruines fumantes d’un pays à reconstruire, des cinéastes comme Roberto Rossellini, Vittorio de Sica, Giuseppe De Santis ou Luchino Visconti donnent naissance au «néo-réalisme»: un cinéma de lutte et de constat, en prise directe avec le réel, qui va influencer plus d’une génération de cinéastes en Italie, mais aussi à l’étranger — la Nouvelle Vague en France ou des cinéastes comme Rainer Werner Fassbinder et Wim Wenders en Allemagne.

Le cinéma d’après la guerre

Grâce à l’impulsion de ces maîtres, d’autres metteurs en scène à peine plus jeunes imposent à l’écran leurs multiples visions du monde: Fellini, Antonioni, Pasolini, Comencini, Monicelli, Risi, Rosi, Bertolucci, Bellochio, les frères Taviani… Autant de cinéastes qui, d’une manière ou d’une autre, traversent tous les genres cinématographiques, de la comédie au réalisme, et vont laisser leur empreinte sur la «nouvelle Italie» des années 50 et 60.
Vers la fin des années 70, le cinéma italien entre toutefois dans une crise profonde. Incapables d’endiguer la prolifération anarchique des chaînes de télévision (commerciales), les salles de cinéma ferment les unes après les autres — et la santé du cinéma national s’en ressent (les écrans de la péninsule programment alors 80% de films américains!).
Quelques anciens (comme Fellini ou Scola) résistent, tant bien que mal; mais nombreux sont les jeunes cinéastes qui se fondent dans le moule de la télé jusqu’à perdre leur âme.

Nanni Moretti le «sauveur»

Dans ce paysage dévasté, un seul auteur semble résister: le très sérieusement drôle Nanni Moretti. Un auteur qui se définit lui-même comme autarcique et réussit à condenser, miraculeusement, les «esprits» de ses «ancêtres». En effet, on retrouve dans l’univers cinématographique de Moretti la dimension fantasmatique et le jeu de références autobiographiques d’un Fellini, le regard caustique, historique et sociologique d’un Scola, le réalisme et l’engagement d’un Rosi, la férocité moraliste d’un Risi.
Né en 1953 à Brunico (province de Bolzano), Nanni Moretti est un autodidacte complet. A 20 ans à peine, alors qu’il a déjà signé quelques courts métrages en super 8, il demande à Marco Bellocchio, à Peter Del Monte et aux frères Taviani de devenir leur assistant… Les Taviani, en particulier, se contentent de lui offrir un petit rôle dans «Padre Padrone»; car, à les entendre, Moretti n’a déjà plus rien à apprendre. Moretti signe son premier long métrage en 1976 («Je suis un autarcique», tourné en Super 8 et gonflé en 16mm), suivi en 1977 de «Ecce Bombo», qui reste encore aujourd’hui son plus grand succès commercial.
Il y interprète lui-même, pour la première fois, le personnage de Michele Apicella, son double. Cette créature constitue le sujet idéal de sa caméra — malléable et corvéable à merci, délirant, instable, infantile; et il porte en lui le regard subjectif du cinéaste, désabusé et poétique, sur le monde.

Nanni Moretti le résistant

Moretti n’est pas seulement l’auteur, l’acteur et le réalisateur de trois courts et huit longs métrages (de «La Sconfitta» tourné en Super 8 en 1973 à «Journal intime» en 1993); il apparaît comme un vibrant défenseur (et l’homme à tout faire) du cinéma dit «d’auteur» en Italie. Tout d’abord, en 1986, afin de «faire quelque chose de concret», plutôt que de se lamenter sur la «crise du cinéma italien», il fonde avec Angelo Barbagallo la société de production Sacher Films, à travers laquelle il produit ses propres œuvres et plusieurs longs métrages de cinéastes italiens qu’il entend soutenir, comme Carlo Mazzacurati, Daniele Luchetti et tout récemment Mimmo Calopresti pour «La Seconda volta». En 1989, il inaugure les Sacher d’Oro du cinéma italien, récompenses qu’il détermine lui-même en toute subjectivité. En 1991, il ouvre à Rome une salle de cinéma d’art et d’essai, le Nuovo Sacher. Enfin, au début de l’été 1996, il inaugure avec succès, dans son cinéma, le Sacher Festival consacré aux courts- métrages.
Ainsi, grâce à sa persévérance et à son engagement, toute une nouvelle génération de cinéastes a retrouvé le courage et l’envie de faire des films.

Frédéric Maire