«Dans le collimateur…»

    Caméra-stylo, programme n°202 |

      Du 10 février au 15 mars, Passion Cinéma présente sept films sur le thème du conflit: des bisbilles des starlettes hollywoodiennes de «Ave, César!» à la déroute familiale des membres de «El Clan», en passant par le choc des cultures de «La Vache», la crise de foi de l’Eglise catholique dans «Spotlight», le dilemme spirituel des religieuses dans «Les Innocentes» et la séquestration de «Room», sans oublier la course à l’égalité de «Free to Run», proposé en présence de son réalisateur Pierre Morath. Autant d’exemples tantôt drôles, tantôt dramatiques, qui confirment à quel point nous sommes dans le collimateur!

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      Hail, Casar!

      Héritier très intéressé de la théorie aristotélicienne qui formate la dramaturgie occidentale depuis plus de deux mille ans, le cinéma de masse a fait son miel de la triade «protagoniste-antagoniste-conflit» innervant la très grande majorité de nos films. De façon peut-être un peu stupide, la plupart des producteurs jugent avant tout un scénario à l’aune de son conflit, s’efforçant de le soupeser en fronçant les sourcils, du moins quand ils en ont les moyens intellectuels! La matrice qui a donné lieu à ce formatage est archi-connue et figure dans tous les manuels d’écriture de scénarii: soit un protagoniste qui s’efforce d’atteindre un objectif. Pour ce faire, il doit surmonter des obstacles et surtout entrer en conflit avec un ou des antagonistes qui s’opposent à lui, souvent parce qu’ils visent le même but. En étant un brin simpliste, on peut résumer l’histoire du cinéma grand public à une variation à l’infini de ce schéma de base, avec une dose plus ou moins forte d’originalité et de subtilité. Des deux chasseurs de prime convoitant le même truand aux rivaux énamourés qui se disputent les faveurs d’une donzelle, nous en passons et des meilleurs!

      «Ciné-gestion» des conflits

      Dès lors qu’un réalisateur se risque à jeter aux orties cette sainte trame, il flirte un tant soit peu avec le cinéma expérimental ou est accusé de le faire. Le stupéfiant «The Shooting» (1967) de Monte Hellman en représente un parfait exemple. Dans un décor archétypique de western, cet auteur majeur, hélas par trop oublié, vide peu à peu l’action de toute dimension conflictuelle ou téléologique, la réduisant à de purs gestes (coups de feu, cavalcades, corps à corps, etc.) dont le sens obvie nous échappe. Ce spectacle nous laisse d’autant plus désemparés que le genre cinématographique sur lequel Hellman opère à cœur ouvert constituait un parangon de ladite dramaturgie du conflit! Dans un tout autre registre, Fellini a aussi procédé à pareille subversion, en perfectionnant film après film un récit choral, sans enjeu, basé sur la chronique poétique et dont «Amarcord» (1973) constitue le chef-d’œuvre incontestable. Même si la vie s’apparente souvent à une succession d’instants quelconques, très rares sont les cinéastes à oser ce réalisme ultime, qui a le don de faire fuir les foules biberonnées sans le savoir à l’aristotélisme le plus crasse. Nous leur en sommes reconnaissants, car la «ciné-gestion» des conflits, qu’on le veuille ou non, sécrète nos plus grands plaisirs de spectateurs!

      Jouer avec les vieilles règles

      Partant, la grandeur et le génie d’un cinéaste se mesurent souvent à sa capacité à jouer serré avec les règles du vieil Aristote, à imaginer sans cesse de nouvelles variations, où les fonctions protagonistes et antagonistes prennent un tour inédit et surprenant. Ce cycle de Passion Cinéma intitulé «Dans le collimateur…» présente sept films en sortie qui en font la démonstration, à commencer par le dernier film des frères Coen, «Ave, César!», qui décrit de façon réjouissante les méthodes fort peu orthodoxes du célèbre «fixeur» Eddie Mannix, auquel les majors faisaient appel pour gérer les conflits générés par le comportement de certaines stars hollywoodiennes dégénérées.

      Vincent Adatte