«Completely mad in USA»

    Caméra-stylo, programme n°188 |

      Du 26 février au 1er avril, Passion Cinéma mesure la vivacité du cinéma «indépendant» américain actuel à travers cinq films inédits! De la folie douce du «Grand Budapest Hotel» de Wes Anderson aux délires étranges de Quentin Dupieux dans «Wrong Cops», en passant par l’histoire d’amour digitale de Spike Jonze dans «Her», sans oublier la curieuse troupe des «Monuments Men» formée par George Clooney, ou les vampires marginaux façon Jim Jarmusch dans «Only Lovers Left Alive», les grands auteurs farouches made in USA dévoilent l’étendue de leur démence créative!

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      En juin dernier, Steven Spielberg et George Lucas, les deux papis qui, dans leur jeunesse, ont largement contribué à l’avènement du «Nouvel Hollywood», ont joué les Cassandre: à tout miser sur quelques blockbusters infantilisants, ont-ils clamé, «l’Usine à rêves» menace à tout moment d’imploser. Pour mémoire, un blockbuster (un terme utilisé durant la seconde guerre mondiale pour désigner une bombe censée faire exploser tout un pâté d’immeubles) est un produit cinématographique hors de prix conçu dès son écriture pour un public de masse, et qui s’appuie sur une stratégie dite de la «saturation», tant au niveau promotionnel que de sa diffusion en salles, sans oublier les marchés dérivés – ceux-ci constituant aujourd’hui les principales sources de profit du capitalisme cinématographique, de la simple peluche au parc d’attraction géant.

      La fin de l’Usine à rêves?

      Dans la bouche du fortuné Spielberg, ce lamento prête à sourire, dans le sens où il a ouvert lui-même la boîte de Pandore avec «Les Dents de la mer» en 1975, considéré à raison comme le premier blockbuster de l’histoire du cinéma. Qu’il pleurniche aujourd’hui sur l’enfantement douloureux de son passionnant «Lincoln» (2012), un film historique dont personne ne voulait à Hollywood, ne manque pas d’ironie. Lui et son compère Lucas auront donc joué aux apprentis sorciers, la belle affaire! Baisse du taux d’audience à l’appui, il est hélas fondé que la prolifération des blockbusters appauvrit l’écosystème cinématographique, jusqu’à agacer le sacrosaint spectateur qui n’en peut plus de ces «reboots», «prequels» et autres «sequels», lesquels trahissent un certain épuisement, pour ne pas dire plus.

      Cinéma indépendant très dépendant

      Reste le cinéma indépendant… A en juger par la qualité des œuvres proposées dans le cadre du cycle de Passion Cinéma, il semble heureusement rester bien vivace. Las, le lien de dépendance qui relie les grands studios aux sociétés de production «indies» (comme on dit dans le jargon) rend pourtant la situation de ces dernières assez périlleuse. Pour être clair, le cinéma indépendant n’existe pas aux Etats-Unis en tant que tel, ce valeureux adjectif désignant plus un style, une esthétique, qu’un mode de production affranchi du système. La plupart de ces sociétés sont de fait des «unités spécialisées» rachetées ou créées de toutes pièces par les Majors, ou alors à tout le moins en rapport financier avec elles. Partant, les grands studios, où il ne se tourne plus guère de films, fonctionnent surtout comme des banques, qui donnent leur feu vert, le fameux «green light», après étude des coûts et risques. C’est ce qu’a fait la Columbia avec «Monuments Men» de George Clooney, produit par Smokehouse Pictures qui n’est autre que la société de… Clooney!

      Feu vert de plus en plus lointain

      En regard de ce lien un brin caché, le cinéma «indie» étasunien dépend donc lui aussi de la puissance de feu globalisée des blockbusters. Pour les auteurs réputés difficiles, qui n’entrevoient plus guère le «green light» salvateur, il n’y a d’autre solution que de collecter les coproductions de prestige, à l’exemple de Jim Jarmusch dont le film «Only Lovers Left Alive» bat un pavillon fort chamarré, aux couleurs de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France, de Chypre et (tout de même) des Etats-Unis. A moins de bénéficier de la manne d’une gosse de riche fascinée et fascinante, genre Megan Ellison, qui vient de produire «Her» du génial mais sans doute peu rentable Spike Jonze.

      Vincent Adatte