«Clint Eastwood, le dernier cinéaste américain»

    Caméra-stylo, programme n°20 |

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      Né à San Francisco un 31 mai 1930, le jeune Clint Eastwood se destinait plutôt au sport ou à la musique. Passionné de jazz et de country, Eastwood ne tente pas sa chance dans le rock’n’roll (qu’il exècre), mais au cinéma… Dès 1954, le voilà engagé par une «major» hollywoodienne (Universal) qui le cantonne toutefois dans de petits rôles. Un brin dégoûté et bien décidé à abandonner le métier, il est remis en selle par la télévision qui lui fait jouer pendant sept ans le rôle d’un gentil cow-boy dans la série Rawhide (217 épisodes!). En 1964, sa carrière prend un tour décisif grâce à l’Italien Sergio Leone qui lui offre le rôle principal de «Pour une poignée de dollars» («Per un pugno di dollari»), chant du cygne du western qui en devient tout spaghetti!

      Casser l’image

      Après «Le bon, la brute et le truand» («Il buono, il brutto e il cattivo», 1966), Eastwood fait preuve d’une grande lucidité en rompant avec Leone et le western «spaghetti» qui avait pourtant fait sa gloire. Revenu sous le soleil de Californie, Eastwood s’efforce de casser son image d’«ange mutique de la mort» en fondant Malpaso, sa propre compagnie de production. Il peut dès lors mieux contrôler sa carrière en choisissant les films dont il veut être l’acteur et les cinéastes qui le dirigent. En 1971, sous la houlette du regretté Don Siegel, il crée le personnage de l’inspecteur Harry Callahan qui lui vaudra l’ire de la critique progressiste et un immense succès public!
      Derechef, Eastwood ne se laisse pas dévorer par cette figure plutôt encombrante. Toujours en 1971, il passe à la réalisation avec un triller, «Un frisson dans la nuit» («Play Misty For me»). A l’image des meilleurs cinéastes de l’âge classique hollywoodien, il s’attache alors la confiance et le respect des grands studios (surtout la Warner Bros.) en alternant films destinés au grand public et des œuvres plus difficiles d’accès. En gestionnaire avisé, Eastwood réussit à compenser les pertes occasionnées par ses tentatives d’auteur en rendossant à plusieurs reprises le paletot de l’inspecteur Harry… Tout en s’en moquant comme dans «Sudden Impact» («Le retour de l’inspecteur Harry», 1983) ou «La relève», («The Rookie», 1990).

      Cinéma de genre

      Dans ses films d’auteur, Eastwood semble s’inscrire dans la tradition très américaine du cinéma de genre. Tout bien considéré, cette inscription tient plutôt d’une habile manœuvre de dissimulation. A l’exemple de ses illustres prédécesseurs (les John Ford, Raoul Walsh ou John Huston), Eastwood s’inscrit dans le genre, mais c’est pour mieux le détourner, en imposant son point de vue, sa vision personnelle des grands récits collectifs. Ainsi ses deux films musicaux, «Honky Tonk Man» (1982) et «Bird» (1988), biographie du saxophoniste Charlie Parker, creusent, par la bande, la notion, cardinale à Hollywood, de norme, de succès. Dans le même esprit, «Sur la route de Madison» («The Bridges Of Madison County», 1995) s’inscrit dans la veine du mélo, mais d’une façon paradoxalement très féministe. Tragédie déchirante, «Un monde parfait» («A Perfect World», 1993) fait dans le même temps ouvertement référence aux comédies de Preston Sturges. Idem pour «Impitoyable» («Unforgiven», 1992) western testamentaire, qui évoque par la bande le tabassage très contemporain de Rodney King.
      A plusieurs reprises, Eastwood aurait proposé à Woody Allen de jouer dans l’un ou l’autre de ses films. Même si cela ne s’est pas donné, cet appariement est somme toute logique. A l’instar de l’auteur du récent «Hollywood Endings« (2002), Eastwood n’a jamais été prophète en son pays — les acteurs qui jouent aux réalisateurs n’y sont pas (trop) pris au sérieux. Plus profondément, ce dédain de la critique américaine est sans doute dû à la manière dont ces deux cinéastes ont réussi, non sans malice et souvent de manière imprévisible, à préserver toute leur intégrité d’auteur.

      Vincent Adatte