«Cinémas du réel»

    Caméra-stylo, programme n°33 |

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      Durant des décennies, le cinéma s’est partagé entre fiction et documentaire. Au jour d’aujourd’hui, nombreux sont les cinéastes, pourtant considérés comme documentaires, qui récusent cette distinction. A travers quatre films contemporains et un chef-d’œuvre prémonitoire, qui seront tous présentés en première neuchâteloise, Passion Cinéma nous invite à découvrir ce que l’on appelle désormais «le Cinéma du Réel».

      Qu’ils s’appellent Dindo, Ophüls ou Meyer, ces cinéastes documentaires, qui ne le sont plus vraiment, revendiquent avec leurs films un nouveau statut cinématographique. Ce statut, en partie, constitue le produit d’une longue histoire (bientôt cent ans); il convient donc de revenir brièvement sur la partition évoquée ci-dessus (entre documentaire et fiction) jugée aujourd’hui arbitraire, voire fallacieuse.

      L’âge d’or du documentaire

      De fait, cette partition remonte aux premières années du cinéma(tographe): les prises de vue des frères Lumière («La Sortie des usines Lumières», 1894; «L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat», 1895) relèvent inconsciemment du genre documentaire. De son côté, en inventant la notion de trucage, Georges Mélies («Le Voyage dans la Lune», 1903) fonde le cinéma de fiction.
      Dès 1906, le vocable «documentaire» prend un sens cinématographique; il est utilisé comme substantif après 1914. En 1926, le théoricien anglais John Grierson emploie ce terme pour désigner toute œuvre cinématographique s’attachant à décrire où à restituer le réel. Plus ou moins abusés par l’origine scientifique du cinéma, les grands cinéastes fondateurs du genre font alors le rêve (souvent admirable) d’une vérité objectivement révélée par le seul cinéma — les chefs-d’œuvre de Flaherty («Nanouk», 1922; «Moana», 1926), le «Ciné-oeil» (1924) du russe Vertov.

      Vérités et mensonges

      La propagande cinématographique conçue durant la seconde guerre mondiale va causer un effet terrible, mais à retardement. A la fin des années 50, les œuvres des pionniers éveillent le soupçon: les films de Flaherty, soi-disant objectifs, avouent alors leur être de fiction: faits de scènes faussement reconstituées (Nanouk chassait au fusil, non au harpon), ils expriment surtout l’idéologie «rousseauiste» de leur auteur. De même la caméra prétendûment indépendante de l’homme, voulue par Vertov, est corsetée par un montage «dialectique» des plus orientés.

      Résoudre la crise

      Forts de ce constat, des cinéastes tels que l’ethnologue Jean Rouch, le Québécois Pierre Perrault ou le New-yorkais Lionel Rogosin essayent de trouver des solutions pour «sauver» le genre en inventant une forme de discours indirect libre: les gens filmés par le cinéaste se mettent eux-mêmes en scène, décident du contenu: mieux vaut filmer la subjectivité de l’Autre que faire croire à une pseudo-objectivité — Richard Dindo, dans ses films «biographiques», procède de cette manière. D’autres cinéastes (comme Chris Marker) tentent de résoudre le problème par d’autres moyens: adeptes de la transparence, ils donnent à voir les conditions de réalisation de leurs films; révélant alors la subjectivité du cinéaste à l’œuvre — Ainsi, dans Veillées d’armes, Marcel Ophüls joue le jeu de la transparence.

      Un dépassement

      Cette prise de conscience du caractère irréductiblement subjectif de toute entreprise cinématographique a sans doute causé la remise en question de la «vieille» partition entre documentaire et fiction. Les cinéastes présentés par Passion Cinéma dans le cadre de ce cycle ont pour point commun le désir de dépasser cette opposition; un dépassement dicté par la sincérité et, sans doute, l’espoir de faire du cinéma un véritable outil de connaissance.