«NIFFF puissance 10»

Caméra-stylo, programme n°160 |

Faisant la nique au ballon rond mondialisé, le Festival International du Film Fantastique de Neuchâtel (abrégé NIFFF) entrera début juillet dans sa dixième édition, une longévité et un succès d’autant plus remarquables que la partie était loin d’être gagnée d’avance. A tort, le grand public identifie encore par trop le cinéma dit fantastique à une giclée d’hémoglobine maculant une bande-son hurlante. Depuis une décennie, les responsables du NIFFF se vouent passionnément à tordre le cou à ce préjugé, hélas très tenace. Emboîtons-leur le pas en invoquant d’emblée l’esprit du brillant essayiste Roger Caillois. L’auteur indispensable de «Au cœur du fantastique» (1965) a écrit sur le sujet quelques lignes définitives, qu’il appliquait certes à la littérature, mais qui valent aussi pour le cinéma: «Ce qui ne peut pas arriver et qui se produit pourtant en un point et à un instant précis, au cœur d’un univers parfaitement repéré et d’où l’on avait à tort estimé le mystère à jamais banni.» En une phrase magistrale, Caillois explicite notre attrait souvent irrépressible pour le fantastique: réhabilitation des possibles et recouvrement de l’aura dont la technique et la science nous auraient dépouillés…

Une mutation spectaculaire

Apparaissant au seuil des années vingt avec l’expressionnisme allemand, pressentiment lumineux des terreurs à venir, le fantastique se fait d’abord grand art de la suggestion, du non-dit, de l’allusion. A la même époque, les cinéastes nordiques contribuent de manière toute aussi décisive à l’élaboration du genre, au point de séduire Hollywood qui ne tarde guère à recycler certaines de leurs trouvailles visuelles. A mesure que la technique cinématographique évolue, le genre connaît une mutation spectaculaire, misant de plus en plus sur l’effet à vue. L’avènement du numérique et des possibilités illimitées qu’il suppose parachève cette évolution: à l’heure actuelle, le cinéma fantastique ne semble que présence, mutation, entropie, éprouvées par le spectateur dans l’illusion d’un temps réel, immédiat. Avatar scandaleux de ce processus, le gore flanqué de son cérémonial grand-guignolesque constitue la démarque sardonique de cette dérive vertigineuse du réalisme cinématographique, qui nous entraîne à toujours plus concevoir l’inconcevable.

Du mépris au succès

Ce développement tout azimut a entraîné une multiplicité d’œuvres et de styles formidable dont le NIFFF se fait le héraut à chaque édition où se côtoient partisans de la suggestion poétique, zélateurs des «slashers» (de «to slash»: taillader) et autres adorateurs des métaphores «Sci-Fi», de celles qui nous font appréhender notre présent problématique avec une acuité souvent imparable! Consubstantielle au fantastique, la projection 3D qui fait son grand retour va sans doute doper la production. Autrefois méprisé par les Majors, comme l’était le dessin animé, bêtement considéré comme infantile, le genre est aujourd’hui en passe de devenir dominant, après avoir contaminé les cinématographies du monde entier! Cet essor impressionnant ne va peut-être pas pour autant rendre la tâche du NIFFF plus aisée, car il s’agira de faire un sort à l’uniformisation qui en résultera forcément, histoire de séparer le bon grain inexplicable de l’ivraie formatée!

Vincent Adatte