«Douceurs et amertumes»

Caméra-stylo, Programme n°158 |

A intervalles réguliers, Passion Cinéma œuvre de concert avec des partenaires créateurs d’événements culturels où le septième art est à même d’apporter un très précieux complément. C’est aujourd’hui le cas du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel qui, jusqu’au 3 janvier 2010, propose d’explorer «Le monde selon Suchard». Plongeant dans les affres d’un programme thématique, nous nous sommes rapidement rendus à l’évidence: les films dont le chocolat serait la star incontestée ne sont pas légion, même si l’avisé Léon Gaumont commandita en 1898 à l’infatigable Alice Guy une «vue» (pour reprendre le terme usité de l’époque) des ateliers de la fameuse Chocolaterie Poulain, à Blois. Las, ce «coup d’éclat» est resté sans lendemain: exception faite d’un court-métrage documentaire intitulé «La Fabrication du chocolat» filmé à la gloire des confiseries Leonidas qui venaient de s’ouvrir à Bruxelles, le «tchocoatl» cher aux Aztèques n’a guère excité les «pupilles gustatives» des cinéastes.

Le chocolat en manque de cinéma

Après une recherche approfondie, l’unique film de fiction dans lequel le cacao joue un rôle à sa mesure reste toujours «Le Chocolat» (2000) de Lasse Hallström dont l’amertume n’est hélas pas assez prononcée, malgré le compagnonnage de Juliette Binoche et Johnny Depp… Tous les autres titres un brin chocolatés traitent les fèves envoyées en Europe par Cortez dès 1524 comme un simple accessoire, au mieux un MacGuffin hitchcockien déclencheur de l’action, à l’exemple du vertigineux «Charlie et la chocolaterie» (2005) de Tim Burton. Soyons juste, dans «Merci pour le chocolat» (2000), le toujours très raffiné Claude Chabrol rend à cette douceur et par la bande l’un de ses hommages matois perfides dont il a le secret. Pour mémoire, directrice d’une grande entreprise de chocolat suisse, Isabelle Huppert y endort son monde en versant force somnifères dans son produit phare. Tous consommables en petites galettes numériques, ces films plus ou moins cacaotés n’auraient guère fait se déplacer les foules dans les salles!

Quand l’animation aménage le territoire

En allant explorer «Le monde selon Suchard», Passion Cinéma a pu lever cette incertitude programmatique: absolument passionnante et donc très recommandée, cette exposition dégage en effet des perspectives sur les thèmes du goût, du travail, de l’aménagement du territoire, de l’entreprise, de la famille ou encore de la mondialisation, dont plusieurs films qui sortent ces prochaines semaines se font l’écho à leur manière. Ainsi l’art culinaire est au cœur de «Julie et Julia» de Nora Ephron qui évoque dans sa nouvelle comédie la médiatisation de la grande cuisine. «Hôtel Woodstock» de Ang Lee retrace les balbutiements d’une entreprise improvisée qui débouchera sur l’industrie du spectacle que l’on sait. Le cinéma d’animation aménage certes le territoire à sa manière, mais parfois de façon très révélatrice, comme dans l’insolite «Mary et Max» où deux décalés entreprennent une correspondance chocolatée sur fond d’urbanisme en folie! Avec «The Informant!», Steven Soderbergh nous plonge dans les eaux troubles et très troublantes d’un géant de l’industrie agroalimentaire. Enfin, la jeune réalisatrice palestinienne Cherien Dabis montre dans «Amerrika» une famille d’émigrés en proie au rêve américain qui, dans la réalité, procède de la pire standardisation!

Vincent Adatte