«24 images par seconde»

Caméra-stylo, programme n°152 |

Pour mémoire, 24 images par seconde, c’est la vitesse de défilement de la pellicule 35mm dans le projecteur, qui crée l’illusion du mouvement sur l’écran. Après avoir varié au gré des époques, cette notion est en passe de devenir obsolète avec la généralisation annoncée de la projection numérique. Cela dit, la dimension du temps cinématographique est évidemment indépendante de cette donnée cinétique! Comme chacun sait, le cinéma est un art qui se déploie à la fois sur les axes du temps et de l’espace. Il constitue comme l’a écrit le philosophe Gilles Deleuze une coupe spatiotemporelle prélevée sur la réalité. Retour en arrière: les frères Lumière tournent en temps réel leurs «vues», le plus souvent en un seul plan fixe dont la durée correspond forcément au temps de l’action, soit environ cinquante seconde. Certains cinéastes expérimentaux ont persisté à respecter de façon radicale cette adéquation primitive, tel Andy Warhol qui filme en 1964 pendant huit heures l’Empire State Building cadré en plan fixe dans «Empire». A ce stade, on ne peut donc pas encore parler de représentation du temps. C’est l’invention du montage qui, littéralement, a fait sortir le temps de ses gonds et a assuré au cinéma sa fortune.

Le temps sort de ses gonds

En 1903, le cinéaste américain Edwin S. Porter donne naissance à l’idée de montage en insérant dans les quatorze plans fixes (appelés «tableaux» à l’époque) celui d’un cow-boy tirant contre le public, conseillant aux
projectionnistes de le «monter» à la fin ou au début du film, indépendamment de l’histoire. Ce geste inaugural, des centaines de cinéastes vont le répéter avec une perfection toujours plus inouïe, accouchant ainsi peu à peu du récit cinématographique. Trois ans auparavant, le réalisateur français Ferdinand Zecca avait aussi apporté sa pierre à l’édifice en créant la figure du flash-back (retour en arrière) pour narrer «L’Histoire d’un crime». Las, les spectateurs se plaignirent de ne rien y comprendre! Quelques années après, le public maîtrise parfaitement ce nouveau langage. Grâce au primat du montage, les cinéastes réussissent à établir une représentation du temps, certes indirecte, mais parfaitement crédible. Désormais, les films ont un début et une fin!

Le temps dans tous ses états

Aujourd’hui, différents régimes du temps cinématographique coexistent. Inventé par les Soviétiques dans les années vingt pour impressionner les masses, le montage court (ou rapide) est dominant. Favori du cinéma d’action, il a pour effet de déréaliser le temps, de le faire imploser. Il est en cela différent du montage lié au suspense (celui de Hitchcock) qui joue au contraire sur la décélération, la suspension. En réaction au tourbillon du montage rapide, certains cinéastes ont renoué avec la durée: excédant leur nécessité fonctionnelle, leurs plans nous contraignent à une vision plus attentive, plus contemplative, à reconsidérer l’image selon d’autres critères que sa seule efficacité narrative. Pour accéder à une image directe du temps, l’outil favori de ces réalisateurs exigeants (pour le spectateur) et dits «modernes» est le plan-séquence. Enfin, dernier régime, celui où se constellent toutes les virtualités du temps cinématographique, niant sa continuité, tel un ruban de Mœbius, dont Marguerite Duras (hier) et David Lynch (aujourd’hui) sont les tordeurs en chef.

Vincent Adatte