«Asie majeure!»

Caméra-stylo, programme n°151 |

Qui l’eut cru? Réputée hermétique, la culture asiatique influe aujourd’hui de façon déterminante sur le devenir du cinéma. Que le septième art favorise une certaine porosité entre l’Occident et l’Asie ne constitue pas un phénomène nouveau. Le 1er septembre 1923, un tremblement de terre détruisit les studios tokyoïtes. Pour répondre aux attentes du public, les exploitants de salles durent importer par centaines des films américains. C’est ainsi que le cinéaste japonais Yazujiro Ozu (1903-1963) put découvrir les œuvres de Buster Keaton et Charlie Chaplin. La vision de «Cops» (1922) et «The Kid» (1923) exerça une influence prépondérante sur celui que d’aucuns s’évertuent à considérer comme le plus japonais des réalisateurs japonais. Quarante ans plus tard, Nagisa Oshima recycla les avancées de la Nouvelle Vague française pour jeter les bases de sa «contre-histoire» cinématographique du Japon. Autre exemple révélateur: Akira Kurosawa (1910-1998) citait volontiers comme ses maîtres l’Américain John Ford (1894-1973) et le Soviétique S. M. Eisenstein (1898-1948).

Ozu fils de Chaplin

Causé à la fois par des concours de circonstances et l’esprit d’ouverture des cinéastes, ce jeu d’influence est consubstantiel à l’histoire du cinéma. Dès sa fondation, Hollywood n’eut de cesse de vampiriser les nouvelles formes cinématographiques: l’école comique française (1895-1914), le fantastique scandinave (dans les années 20), l’expressionnisme allemand (1920-1924) que «l’Usine à rêves» restitua sous la forme du film noir. Dans un premier temps, les nababs californiens firent des ponts d’or à des cinéastes européens, tels que Max Linder, Victor Sjöström, Ernst Lubitsch ou Alfred Hitchcock. Après coup, les réalisateurs vinrent d’eux-mêmes, souvent poussés par les événements. Refusant de collaborer avec Goebbels et ses sbires, le gotha du cinéma allemand trouva refuge en Amérique. Pour Hollywood, ce fut tout bénéfice artistique! Mais aujourd’hui, le spectateur vit peut-être l’ultime épisode de ce recyclage de formes «idiosyncrasiques» avant le formatage généralisé auquel il semble promis.

Dernier recyclage

Cette ultime «récupération» touche l’un des derniers genres cinématographiques à s’être affirmé, le film d’action, apparu au seuil des années soixante. Via des producteurs à flair comme Joël Silver, à qui l’on doit la série des «Armes fatales», Hollywood a recyclé de manière intensive les traits les plus saillants du cinéma made in Hongkong, à commencer par les passes de kung-fu dont plus aucun blockbuster ne peut faire l’économie à l’heure actuelle, pas même les superproductions françaises. Pour la petite histoire, sachez que la vogue des arts martiaux a d’abord essaimé par le biais des héros noirs minoritaires de la blaxploitation, avant de contaminer les «Matrix» et autres «Kill Bill»… De fait, cette greffe est peut-être terminale dans le sens où elle a consacré l’un des derniers cinémas de la corporéité, de la présence physique. Les stars hongkongaises, comme Jet Li ou Jackie Chan, ne se sont jamais fait doubler, à l’instar des Chaplin, Keaton et Lloyd de la belle époque… La boucle est bouclée! Voilà qui explique aussi pourquoi Chan et Li ont tant peiné à s’adapter aux exigences de Majors déjà tombées sous la coupe du tout numérique.

Vincent Adatte