«Douce France…»

Caméra-stylo, programme n°150 |

Le succès foudroyant de «Bienvenue chez les Ch’tis» est l’arbre qui cache la forêt. Actuellement, le cinéma d’auteur français se fait plutôt rare sur nos écrans romands. Ne morigénez pas les exploitants, ils n’y sont pour rien! La responsabilité de cette raréfaction incombe plutôt aux distributeurs qui répugnent désormais à investir dans ce créneau. On peut les comprendre, car ce sont eux qui prennent le risque de l’avance des frais de promotion et de tirage de copies… Voilà pourquoi vous n’aurez sans doute pas l’heur de découvrir sur grand écran le merveilleux «Les Amours d’Astrée et de Céladon» dernier film en date d’Eric Rohmer, «Le Premier Venu» qui consacre pourtant le retour de Jacques Doillon après quatre ans d’absence, ou encore «L’Heure d’été» d’Olivier Assayas. Bien sûr, nous pourrons toujours acquérir leur édition DVD le temps venu. Et les plus pressés seront tentés de les télécharger sans crier gare, à condition d’oublier qu’il s’agit d’œuvres pensées et conçues en vue d’une diffusion en salle… Tant pis pour le chef-opérateur qui se sera échiné à créer la lumière la plus subtile!

Gangsters et Saint Glinglin

Et quand le film est distribué, rien ne garantit que nous puissions le découvrir avant la Saint Glinglin. L’exemple de «J’ai toujours rêvé d’être un gangster» est très éclairant. Nous aurions «toujours» voulu programmer dans le cycle «Douce France» cette comédie décalée qui a ravi les spectateurs de la Piazza Grande l’été dernier à Locarno. Notre vœu n’a pu être exaucé, car le distributeur n’en a fait très chichement tirer qu’une seule copie, alors qu’il en faudrait au moins quatre pour distribuer le film de Samuel Benchetrit en Suisse romande dans des délais convenables. Après avoir été exploitée à Genève, la copie ira se faire voir à Lausanne, avant d’entamer la tournée des villes qui ont le malheur de ne pas être situées au bord du bleu Léman! C’est la raison pour laquelle nous ne pourrons pas rêver d’être gangsters avant le mois de juin. Dernièrement, un phénomène identique a plus que de raison retardé la sortie de «La Graine et le Mulet» dans le canton. Bien sûr, le distributeur a ses raisons. Si ce dernier est indépendant, il vit en ce moment une période assez difficile qui le contraint à réduire parfois drastiquement ses dépenses.

De parfaits inconnus

C’est un superbe paradoxe. Alors qu’il ne s’est jamais autant tourné de premiers long-métrages en France, il n’y a pas ou plus moyen de les voir… Sur les 242 films français distribués en 2006 dans l’Hexagone, 56 ont été réalisés par de jeunes cinéastes débutants. En Suisse romande, seuls quatre d’entre eux ont bénéficié d’une distribution digne de ce nom, soit «Mauvaise Foi» de Roschdy Zem, «La Tête de maman» de Carine Tardieu, «La Vie d’artiste» de Marc Fitoussi et «Odette Toulemonde» d’Eric-Emmanuel Schmitt. Cette tendance, observable depuis quelques années, a pour effet non seulement d’occulter le travail d’une nouvelle génération de réalisateurs et de réalisatrices très prometteuses (dont Isild Le Besco, Mia Hansen-Love, Céline Sciamma, Anne Le Ny), mais aussi de nous rendre des cinéastes pourtant déjà confirmés parfaitement inconnus. Pensons seulement à Vincent Dieutre, Alain Guiraudie, Nicolas Klotz ou Bertrand Bonello, dont les films pourtant passionnants ne nous sont jamais parvenus!

Vincent Adatte