«Allô… Police?»

Caméra-stylo, programme n°159 |

Il est rare, voire unique dans l’histoire culturelle, qu’un corps de métier donne son nom à un genre cinématographique. C’est le cas de la police qui a généré un nombre incalculable de films, chefs-d’œuvre, navets, séries, aux quatre coins de la planète, faisant du «flic» l’une des figures emblématiques de l’histoire du cinéma. Il vaut la peine de rouvrir l’enquête pour élucider ce mystère qui n’en est peut-être pas un… Pris au sens général du terme, le dictionnaire fait remonter l’adjectif «policier» à 1611. Pour notre part, nous retiendrons deux dates: en 1863, l’écrivain français Emile Gaboriau fait paraître en feuilleton «L’Affaire Lerouge», considéré par les spécialistes de la question comme le tout premier roman policier. En 1901, soit à peine six ans après l’invention du cinéma, Ferdinand Zecca s’inspire des «tableaux» du Musée Grévin pour tourner «L’Histoire d’un crime» qui contient en germe la plupart des ingrédients du futur film policier. Dans la théorie des genres, dont la complexité égale au moins celle du code pénal, le film policier est englobé dans le film criminel qui inscrit au cœur de sa fiction une violation grave de la loi, généralement un meurtre.

Policier, criminel, gangsters

Dans la plupart des cas, cette infraction suscite l’apparition rassurante de la police, personnifiée par un inspecteur sagace, d’où, fort logiquement, l’appellation «film policier». Droit dans ses bottes, le genre se découvre pourtant des concurrents redoutables qui font aussi partie de la grande famille du film criminel. Songeons au film de gangsters inauguré dès 1903 avec «Le Vol du rapide» d’Edwin S. Porter. Dans le marasme qui suit la crise de 1929, ces films faisant l’éloge des stars (et business-men) du grand banditisme, souvent au détriment de la police, impuissante et ridiculisée, connaissent une grande vogue, au point que l’Etat s’en émeut auprès des Majors. Enfin, avec l’accession au pouvoir de Roosevelt et la mise sur pied de son «New Deal», la moralité est à nouveau à l’ordre du jour. Le film policier vit alors son véritable âge d’or, avec des œuvres dépeignant la lutte héroïque menée par des représentants de la loi pour éradiquer le crime organisé, version pour le moins dévoyée du modèle de «la libre entreprise».

Une incertitude bénéfique

L’adoption enthousiaste du film noir par la famille du film criminel est un nouveau coup dur…Certes le protagoniste du film noir est un détective privé payé et non un policier assermenté. La distinction est d’importance, car elle facilite les états d’âme, la compromission, voire la corruption. Surtout, elle entretient le doute sur la possibilité d’une véritable justice. Apparu en 1941, ce nouveau concurrent vit une période faste jusqu’en 1951, se délectant du climat délétère et hystérique suscité en Amérique par la Guerre froide. Désormais, le mal est fait: le film policier n’arrivera jamais plus à s’extirper de ces compagnonnages ambigus, se laissant gagner à son tour par l’incertitude quant à sa légitimité. Pour l’institution, cette incertitude est somme toute bénéfique, car elle incite à la remise en question. Réside sans doute là la clef du mystère évoqué en début de texte, cette belle idée que le citoyen, par film interposé, peut mettre à l’épreuve démocratique l’un des fondements de notre société. Sur tous les modes, de la fiction et du documentaire, le cycle de Passion Cinéma va s’y employer.

Vincent Adatte