BlacKkKlansman

C’est peu dire que Spike Lee réussit un formidable retour avec «BlacKkKlansman»: Grand Prix du Jury, ovationné et encensé par la critique à Cannes, Prix du public à Locarno, son 23ème long-métrage constitue une grande réussite pulsée par la colère et une ironie assassine. De fait, ce brûlot à la fois malicieux et hargneux est tiré d’un fait-divers à peine croyable! En 1978, Ron Stallworth (John David Washington, fils de Denzel) est le premier officier de police afro-américain à intégrer le corps de police de Colorado Springs. Le jeune flic reçoit pour mission d’infiltrer un groupuscule lié aux Black Panthers. Généreux dans l’effort, le pied-tendre décide de faire de même avec l’antenne locale du Ku Klux Klan, en proposant tout de go son adhésion. Pour se couvrir, Ron met dans la confidence un jeune policier juif blanc (Adam Driver), qu’il enverra à sa place dès lors qu’il faudra rencontrer en personne David Duke, le cadre local du KKK.

N’en disons pas plus, sinon que Ron pense pouvoir arriver à ses fins, tant les racistes du coin pèchent par idiotie… De «Nola Darling n’en fait qu’à sa tête» (1986) à «Inside Man» (2006) en passant par «Do the Right Thing» (1989) et «Malcom X» (1992), Spike Lee a connu une carrière en dents de scie, la faute à son intransigeance que l’establishment blanc hollywoodien a eu tôt fait de taxer d’intolérance.

Grâce à son frère de couleur Jordan Peel (auteur du fantastique «Get Out»), qui a produit «BlacKkKlansman», le réalisateur sexagénaire de «Jungle Fever» (1991) prend une éclatante revanche, dictée il est vrai par le sentiment d’urgence suscité par l’accession au pouvoir de Donal Trump, raciste invétéré que Lee se refuse à appeler par son nom, lui préférant le sobriquet «agent orange» (en souvenir du défoliant utilisé pendant la Guerre du Vietnam).

Soulevant des vagues de rires très jaunes, rythmée par une bande-son qui dit tout le génie musical de la communauté afro-américaine, cette comédie effarante atteint les sommets, notamment dans la séquence où les membres du KKK vibrent à la projection de «Naissance d’une nation» (1915) de David W. Griffith, œuvre fondatrice du cinéma étasunien citée dans toutes les encyclopédies, qui oublient souvent de relever sa dimension ouvertement raciste (à l’origine de la renaissance du KKK). Et, en fin de film, Lee ne manque pas d’apparier son récit aux événements de Charlottesville, hélas très contemporains.

de Spike Lee
Etats-Unis, 2018, 2h15