«Avec le temps, va…»

Caméra-stylo, programme n°80 |

A ses premiers spectateurs, le cinématographe procure une sensation d’immédiateté fabuleuse: bien que filmé par Louis Lumière à une date précise (en juillet 1895), le train à vapeur de «L’arrivée en gare de La Ciotat» leur donne toujours l’impression de surgir «ici et maintenant»; la plupart des films Lumière accordent cette sensation de présent toujours recommencé, parce qu’ils sont tournés en un seul plan fixe d’une durée de cinquante secondes environ et donc dénués de tout effet de montage. Dès 1896, le même Louis Lumière sape pourtant un brin les fondements de ce faux-semblant perceptif en projetant à l’envers «La démolition d’un mur».

Présent fictif

Très rapidement, les cinéastes élaborent toute une syntaxe en poursuivant deux fins: l’organisation du temps, l’organisation de l’espace. Grâce au montage alterné, aux mouvements d’appareil (travelling) et à toute une palette de plans différents (du plan d’ensemble au gros plan), l’Américain David Wark Griffith se donne les moyens de la narration cinématographique — comme en témoigne la complexité narrative de son film manifeste, «La Naissance d’une nation» (1915). Pendant des années, les cinéastes vont manipuler de main de maître les éléments de cette syntaxe pour «conjuguer» leurs films à un présent complètement fictif! Ce n’est qu’en 1933 que William K. Howard ose introduire dans «Le pouvoir et la gloire» la figure «pernicieuse» du flashback — un plan ou une suite de plans montrant une action antérieure à l’action représentée.

La crise de l’«image-action»

De très grands metteurs en scène recourent alors à la structure en flashback: Marcel Carné («Le jour se lève»,1939), Orson Welles («Citizen Kane», 1941) Otto Preminger («Laura», 1944) et de nombreux auteurs de films «noirs» — plutôt pessimistes. Ce recours aux images du passé pour donner un sens à celles du présent révèle bien évidemment un état de crise, une perte de confiance qui instaure le doute sur la réalité représentée — la seconde guerre mondiale et son cortège de propagandes fallacieuses n’y sont pas étrangers! Un pas décisif et supplémentaire est franchi au cours des années soixante par des cinéastes venus d’horizons divers (Resnais, Tarkovski, Kavur) qui, sans crier gare, cassent l’antériorité rassurante du flashback; rendant de ce fait la différence entre passé et présent littéralement indiscernable!

A notre bon souvenir

A l’heure où certains se laissent abuser par le mythe destructeur de l’«image en temps réel» produit par la «téléprésence», le cinéma, en (désormais) vieil empêcheur de tourner en rond, conserve pour lui le don précieux de la mise à distance, qui permet l’analyse et parfois même l’exorcisme — «Hiroshima mon amour», «Le messager», «Le miroir», etc.. En huit films consacrés au temps et à la mémoire, Passion Cinéma rappelle ce fait indubitable à notre… bon souvenir!

Vincent Adatte