«Arts et cinéma»

    Caméra-stylo, programme n°19 |

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      Depuis quelques années, en Suisse, de très nombreux cinéastes — jeunes pour la plupart — tournent des films documentaires sur des artistes en tous genres, photographes, musiciens, peintres, sculpteurs, architectes, écrivains ou gens de théâtre. Par le biais du documentaire, prétexte de la «rencontre» avec l’Autre, tous ces cinéastes cherchent en fait à renouer un fil qui s’est cassé, celui de la «fiction». Pour beaucoup d’entre eux, en effet, le cinéma désormais centenaire et sa petite sœur la télévision ont désormais raconté trop d’histoires, toutes les histoires: il n’y en a plus à filmer, à moins de se répéter.
      Ainsi certains cinéastes éprouvent-ils le besoin de trouver, dans d’autres arts, non pas de «nouvelles histoires» à raconter, mais de «nouvelles manières» de les raconter.
      Pour beaucoup d’entre eux, les films qu’ils produisent — de plus en plus nombreux — se résument toutefois à une simple confrontation de deux arts: sous le couvert du «documentaire», le cinéaste se contente de filmer un artiste à l’œuvre, sans véritable communication; comme s’il tentait, par le biais de la caméra, de voler à l’artiste qu’il filme un peu de son génie…
      D’autres cinéastes, par contre, parviennent à instaurer un véritable dialogue entre un art et l’autre, de manière à constituer peut-être un cinéma nouveau, à la fois nourri de références culturelles et profondément original. C’est cela qui fonde l’intérêt des six films que nous avons choisi de vous montrer à Neuchâtel, si différents entre eux dans leur approche des arts, et pourtant si semblables dans leur démarche.
      Aucun de ces films n’apparaît en effet comme un simple «documentaire», désireux de donner à voir un autre art à l’œuvre. Tous les films que nous vous proposons, souvent en présence de leurs auteurs, constituent en effet moins des «portraits d’artistes» que des recherches sur le cinéma… Ces films représentent moins «l’art au cinéma» que «le cinéma dans l’art», et sont ainsi, dans leur volonté de trouver la «part de cinéma» qui réside chez l’«autre», autant de créations cinématographiques à part entière.

      Le cinéma, art total?

      28 décembre 1895: les frères Auguste et Louis Lumière procèdent à la première démonstration publique d’une nouvelle invention qu’ils ont baptisée du nom de cinématographe; en braves scientifiques «positivistes» qu’ils sont, les deux inventeurs considèrent leur trouvaille comme une attraction foraine dont l’avenir n’est peut- être pas assuré… une belle, une splendide erreur de jugement! En effet, en quelques années le cinéma accède au statut de septième art, mieux même, en regard d’une certaine idéologie qui voit en l’histoire une marche inexorable vers le progrès, il va constituer l’art total, celui qui contiendra tous les autres. A l’avènement du parlant, le dessein semble quasi réalisé: le cinéma serait le lieu de la fusion ultime entre la peinture (l’image, l’éclairage), l’architecture (les décors), la littérature (le récit raconté par le film), le théâtre (le texte dit par les acteurs), la musique (appelée par les images), etc..
      Par chance, le théoricien André Bazin, avec d’autres, a, dès 1944, dénoncé cette vue de l’esprit (induite par un humanisme trop idéaliste pour être honnête); dépouillant le septième art de ces références qui auraient pu avoir sa peau, Bazin démontre que le cinéma est un art possédant sa propre spécificité, et qu’il ne saurait par conséquent phagocyter ses six compères sans perdre son identité propre. A la fin des années cinquante, les cinéastes de la Nouvelle Vague, formés dans leur prime jeunesse par Bazin, essayent de cerner, de constituer cette spécificité; procédant plutôt d’une démarche que l’on peut qualifier de «négative», Godard, Rohmer et leurs complices s’efforcent de montrer ce que n’est pas le cinéma en le confrontant au théâtre, à la peinture, etc. Ce débat est encore à l’ordre du jour. Passionnant, sans espoir de conclusion (c’est à espérer), il constitue sans doute le ressort intime, voire inconscient, des six films présentés dans le cadre de ce cycle Arts et Cinéma: comment filmer la peinture sans lui faire perdre sa réalité («Charlotte, vie ou théâtre?»), le théâtre sans lui enlever sa théâtralité («Benno Besson, l’ami étranger»), la musique sans l’amputer de son pouvoir d’évocation infini («Le Quatuor des possibles»), etc..

      Frédéric Maire & Vincent Adatte