«Amours en fuite»

Caméra-stylo, programme n°180 |

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Plus que centenaire, le septième art persiste dans sa drôle de destinée, histoire de ne pas désespérer les cinéphiles! A la fin d’un texte très précieux intitulé «Esquisse d’une psychologie du cinéma», André Malraux concluait en ces termes, après avoir défendu sa cause artistique sur près de cinquante pages: «[…] Par ailleurs le cinéma est une industrie.» D’une suprême élégance, cette pichenette semble demeurer d’actualité.

Le cinéma est une industrie

A la fois art parfois si peu rémunérateur et grosse machinerie plus ou moins rentable du divertissement, le cinéma paraît vivre depuis toujours sous l’emprise de cette double appartenance, engendrée dans les tout premiers temps de son existence par le public bourgeois qui souhaitait être flatté dans son prétendu goût pour les belles choses. Avec les années, il est vrai que les cinéastes se sont peu à peu libérés de cette exigence de classe, pour rivaliser d’audace et d’inventivité avec leurs pairs peintres, sculpteurs ou poètes déjà affranchis. Soumis pour la plupart aux impératifs de la rentabilité industrielle, ils ont dû toutefois agir avec plus de ruse (Martin Scorsese les a comparés à raison à des contrebandiers), hormis quelques chanceux flanqués de mécènes généreux, tel le vicomte de Noailles pour Buñuel, ou subventionnés par l’Etat parfois sauveur de la culture!

Films d’auteur non identifiés

Aujourd’hui, ces esprits un brin chagrins prétendent, non sans arguments, que le cinéma est hélas en train de guérir de son paradoxe fondateur (à la fois art et industrie), à l’origine de son extraordinaire vitalité créatrice si dispendieuse. Ils en donnent pour preuve l’état ruiné et ruineux de l’actuelle Hollywood, devenue une simple boursière des grandes multinationales, empêchée de prendre des risques, réduite à pourvoir le monde globalisé en «sequels» dévitalisés. Par chance, cette vision pessimiste est parfois contredite par l’apparition de quelques «FANI» isolés (films d’auteur non identifiés), donnant à espérer que le cinéma aurait soudain recouvré son état schizophrénique d’antan, ce qui serait à interpréter comme le signe de sa santé retrouvée!

Retour régénérateur aux origines

Alors que les capitaines de l’industrie du divertissement s’ébaubissent sur la révolution constituée par le tout numérique, laquelle égalerait en puissance tellurique le passage du Muet au Sonore (ce qui reste à prouver), certains cinéastes, au-delà de la provocation, s’évertuent à travailler à l’ancienne, tel Paul Thomas Anderson qui a filmé «The Master» en pellicule 70 mm, ou Tarantino qui a tourné son nouveau film, «Django Unchained», en 35mm – jurant même sur ses grands dieux qu’il prendra sa retraite le jour où il ne disposera plus de celluloïd!

Muet et en noir et blanc

Figurant au programme du premier cycle de l’année 2013 de Passion Cinéma, deux films assez inouïs procèdent du même esprit de résistance. Muet et en noir et blanc pour l’un, tourné en noir et blanc et en pellicule au «vieux» format 1:37 pour l’autre, ils ressuscitent intact le pouvoir de fascination du cinéma premier, pour y puiser de nouvelles ressources et accéder à une modernité stupéfiante, très loin des afféteries patrimoniales si pleines de joliesse de «The Artist».

Vincent Adatte