«Aidez-vous les uns les autres»

    Caméra-stylo, programme n°199 |

      A l’occasion de la Journée intercantonale des proches aidants, Passion Cinéma présente, en partenariat avec le Service de la santé publique du Canton de Neuchâtel, un cycle de 9 films aussi différents que révélateurs. Des mères-courage de «Fatima», «La Passion d’Augustine» et «La Dernière Leçon» aux figures plus ou moins altruistes de «Phantom Boy», «Mon roi», «Dora» ou «La Vanité», en passant par le cinéma salvateur de «The Wolfpack» ou l’antithèse par excellence de «Une Jeunesse allemande», les films volent au secours de leurs personnages et des spectateurs. Et Passion Cinéma d’accueillir les cinéastes Lionel Baier, Léa Pool, Jean-Gabriel Périot et Stina Werenfels!

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      Par sa faculté à créer le sentiment d’empathie, le cinéma constitue un vecteur de solidarité spontanée étonnant. De fait, dans l’intimité de la salle obscure, il fait de chacun de nous un «proche aidant» en puissance, interpellé par ce que révèle le film du piteux état des relations humaines. Qui n’a pas voulu donner en pensée du réconfort aux vieux parents délaissés de «Voyage à Tokyo» (Yasujirō Ozu, 1953)? Qui ne s’est pas imaginé divertir la solitude accablante du retraité «Umberto D» (Vittorio de Sica, 1952), ou consoler la petite orpheline en larmes de «Jeux interdits» (René Clément, 1952)? Les exemples sont légion et atemporels. Ils attestent du pouvoir du cinéma à renouer avec l’humanité qui sommeille en nous, du moins devant l’écran.

      Spectateur humain trop humain

      En la matière, il y aurait ici toute une histoire du spectateur de cinéma à écrire, aussi singulière que passionnante, celle de ses cris et de ses gestes avortés, incontrôlés et aussitôt réprimés durant la projection: l’esquisse d’un croc en jambe au policier qui harcèle le pauvre Charlot, la main secourable qui se tend en direction de l’enfant désespéré de «L’Incompris» (Luigi Comencini, 1966), ce murmure qui dit, de façon inaudible, à l’héroïne écroulée du mélodrame: «Ne t’en fais pas, je suis là…»

      Partant, les plus optimistes pensent et espèrent que le cinéma peut réussir à nous rendre meilleurs une fois revenus à la vraie vie. Voire à nous ouvrir les yeux sur le réel par le biais d’une réalité certes mise en scène, mais qui ressemble terriblement à la nôtre! Les pessimistes, eux, n’y voient qu’une purge silencieuse de toute la honte qui nous habite, à force de coller à la doxa consumériste nous tenant lieu de pseudo-philosophie. Comme toujours, la vérité se situe à mi-chemin, laborieuse et incertaine: il est possible qu’au sortir de la salle nous soyons animés des meilleures intentions du monde, plus proches oui, mais peut-être pas encore aidants…

      Le cinéma aime son prochain

      Invitée à se joindre à la célébration de la Journée intercantonale des proches aidants du 30 octobre, Passion Cinéma a sélectionné une série de films qui ne bêlent pas cette notion si importante. A l’exemple du passionnant documentaire «Une Jeunesse allemande», certains l’illustrent par la désespérance ou le silence: les générations de l’après-guerre en Allemagne se seraient-elles parlées, que les bombes que l’on sait n’auraient peut-être pas été amorcées. «Fatima» constitue le portait admirable de l’une de ces femmes de l’ombre, qui n’a pu compter que sur elle-même pour s’en sortir avec ses filles.

      D’autres films empruntent des biais différents, tel le provocant «Dora ou les névroses sexuelles de nos parents», lequel décrit de manière à la fois tendre et grinçante toute la difficulté et l’ambiguïté induites par le désir «d’aider en étant proche». Histoire formidable de la résilience d’une jeune fratrie claustrée, «The Wolfpack» montre que le cinéma lui-même peut parfois jouer le rôle du proche qui aide (et sauve). Mais c’est sans doute dans le superbe et parfois très drôle «La Vanité», dernier film en date de Lionel Baier, que cette belle idée prend sa forme la plus surprenante et sans doute la plus agissante, tant le film sort complètement des clous de l’institutionnalisation des sentiments et du don de soi. Précieux!

      Vincent Adatte