«L’exception française»

Caméra-stylo, programme n°115 |

On peut railler autant qu’on veut l’esprit gaulois, mais force est de constater que le cinéma français possède une vitalité à nulle autre pareille. Certes, les producteurs connaissent à l’heure actuelle des temps plus difficiles suite au désengagement partiel de Canal + (dont l’apport a été considérable), mais d’autres possibilités de ressources pointent déjà à l’horizon (crédit impôts, plus grande contribution du DVD au financement des films, etc..). Au contraire des Américains qui, depuis toujours, considèrent et vendent le cinéma comme un bien, les Français s’évertuent à le considérer comme un service, ce qui revient, dans le paysage libéral qui prévaut à l’heure actuelle, à faire une exception. Eh oui, dans la première guerre mondiale de la culture qui oppose les Etats-Unis au reste du monde, la France brandit haut l’étendard de l’exception culturelle. Porteuse d’une idée très forte et vivante du cinéma, ses stratégies de résistance culturelle ont heureusement fait école et ont incité quasi tous les pays d’Europe à se doter d’instruments étatiques en mesure de défendre la diversité.

Effets pervers

Ainsi dispensé, cet état des lieux pourrait presque passer pour idyllique. Las, la situation est quand même un peu plus complexe. Plusieurs représentants du cinéma d’auteur se sont élevés contre les perversités de l’exception française. Rêvant de battre Hollywood sur son propre terrain, quelques décideurs très décidés souhaitent faire du cinéma tricolore une redoutable machine de guerre commerciale en raflant le système d’aides à la production. Cette menace a engendré à Paris un débat passionnant, qui concerne d’ailleurs toute l’Europe, cette dernière ayant beaucoup suivi le modèle hexagonal dans sa politique de soutien au cinéma. La grande question qui a surgi de ce débat: l’exception française doit-elle favoriser les desseins d’un producteur comme Luc Besson dont les films ne servent guère la cause de la diversité? Certains esprits, plus alarmistes, estiment que le mal est déjà fait. Pour étayer leur diagnostic, ils mettent en avant le fait indubitable que les films à petit et à moyen budget peinent de plus en plus à trouver leur financement, alors que les grosses productions, susceptibles de conquérir le marché mondial, attirent les millions comme le miel les mouches… Le danger de voir à l’avenir se multiplier des produits calibrés et donc insignifiants au détriment de films d’auteur est, selon eux, déjà une réalité incontournable – le montant astronomique atteint par le prochain Pirès («Double zéro») en atteste. Certes, la France reste toujours le doux pays où l’on tourne le plus grand nombre de premiers films, mais pour combien de temps encore?

Resnais, Rivette et les autres

Passion Cinéma a souhaité conjurer ces mauvais augures en consacrant à l’exception française un cycle «exceptionnel», puisqu’il comporte pas moins de quatre premières suisses! Ce programme de très grande qualité montre aussi que la France est sans doute la seule cinématographie où anciens et petits nouveaux parviennent à co-exister dans le système avec une relative harmonie. Partant, Alain Resnais, octogénaire, et Jacques Rivette, son cadet de quelques années, nous démontrent avec leurs deux derniers films en date, que, parfois, oui, la jeunesse peut attendre les années.

Vincent Adatte