«Le temps retrouvé»

Caméra-stylo, programme n°165 |

«Ce que l’intelligence nous rend sous le nom de passé n’est pas lui». Longtemps, le septième art a résisté à la saine évidence de cette phrase profonde, piquée à Marcel Proust, expert en la matière s’il en est. Véritable machine virtuelle à remonter le temps, le cinéma a fait du film historique, ou «film à costumes», l’un de ses genres de prédilection. Dès les débuts du Cinématographe, ses pionniers ont feint de pouvoir mettre la main sur «le temps retrouvé», à la joie du public qui pouvait identifier les grands épisodes de l’Histoire officielle. A l’été 1895, sitôt sa caméra mise au point, Thomas Edison se dépêcha de placer sur le billot la tête de la pauvre Marie Stuart! Pour des raisons compréhensibles, les producteurs et les cinéastes «primitifs» privilégièrent rapidement la reconstitution contrôlée du passé à la captation d’un présent forcément plus «douteux», se consacrant au tournage de coûteuses et invraisemblables fresques monumentales, qui donnaient pleinement raison à Alexandre Dumas («la vérité historique est une belle fille que l’on peut violer à condition de lui faire des beaux enfants»).

Un point de vue déterminé

En 1916, David Wark Griffith entrelace dans «Intolérance» trois épisodes de l’histoire humaine (le siège de Babylone par Cyrus, le massacre de la Saint-Barthélemy et le supplice
infligé à Jésus) et un quatrième contemporain au tournage (la condamnation à mort injuste d’un gréviste). En résulte un montage alterné virtuose, qui impressionna les futurs grands cinéastes soviétiques, mais mit la puce à l’oreille des spectateurs restés lucides… Aussi bien masqué soit-il, derrière les décors et les costumes, le film dit «historique» procède toujours d’un point de vue déterminé par les conditions combien agissantes du présent, plus ou moins sincère, plus ou moins orienté par des présupposés idéologiques. En appariant ainsi les massacres des grévistes et des Protestants, Griffith organise le triomphe de l’idée, du concept, sur la recherche de la vérité, mais se trahit d’autant plus facilement! Las, ce sentiment de suspicion a mis longtemps à faire son chemin. Il aura fallu deux guerres mondiales et leurs millions de morts, que la propagande échoua bien évidemment à ressusciter, pour jeter l’opprobre sur les falsifications perpétrées par le grand spectacle cinématographique, et les bases d’une nouvelle approche du genre, plus éthique, prenant en compte la dimension d’actualité qui le caractérise envers et contre tout!

Le temps de la démystification

A partir des années cinquante, le film historique accomplit à la fois sa propre démystification et sa moralisation (au sens noble du terme). Il suffit de comparer deux chefs-d’œuvre du western comme «La Chevauchée fantastique» (1939) de John Ford et «Impitoyable» (1992) de Clint Eastwood, ou des films de guerre comme «La Patrouille de l’aube» (1930) de Howard Hawks, «Les Sentiers de la gloire» (1957) de Stanley Kubrick et «Apocalypse Now» (1978), pour prendre conscience du chemin parcouru… Si ce cycle de Passion Cinéma fait la part belle à diverses reconstitutions du passé (dont l’indispensable «Vénus noire»), s’y mêlent aussi deux ovnis entretenant un autre rapport au temps cinématographique: ludique, économique et facétieux. Au fait, en 2011, Passion Cinéma fêtera ses… vingt ans!

Vincent Adatte