«Passage(s) à la limite»

Caméra-stylo, programme n°149 |


En marge de son cycle consacré à quelques œuvres flirtant avec le fil du rasoir, Passion Cinéma et l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel nous invitent le 22 avril prochain à débattre sur le thème de la censure avec quelques intervenants de qualité. A l’heure où certains esprits apeurés vivent une crise iconoclaste d’un type inédit, il importe de prendre un peu de recul… Au sens classique du terme, la censure désigne la surveillance exercée par un pouvoir sur la liberté d’expression (et artistique) au nom de la sécurité publique et morale. Aussi mesurée soit-elle, cette définition montre la difficulté de sa légitimation. Quoi de plus contingent en effet que les notions de sécurité, de morale… En témoigne l’oukase prononcé contre l’innocente «Guerre des boutons» (1962), laquelle fut interdite aux moins de dix-huit ans dans plusieurs cantons romands pour quelques plans de zizis dépourvus de toute ambiguïté. A ce qu’il paraît, le film du bon Yves Robert va prochainement faire l’objet d’un «remake». En notre époque marquée par les affaires de pédophilie, il n’est pas certain que le malheureux réalisateur en charge de cette nouvelle version s’aventure encore à oser de pareilles «audaces»!

Un acte d’éducation

Sur un plan disons plus intime, après Freud, chacun devrait savoir que le processus de censure est intimement lié à notre développement psychique, que sa très progressive levée nous fait accéder à l’âge adulte et qu’il s’agit donc aussi d’un acte d’éducation. Autrement dit, découvrir à un âge approprié (plus de dix-huit ans) un film comme «Funny Games U.S.» peut être très formateur et même contribuer à nous faire grandir. Il en ressort la notion banale mais si essentielle d’accompagnement… La condition de plus en plus solitaire de nos enfants, conjointe à la multiplicité des moyens de diffusion (dont en premier lieu Internet), expose les plus jeunes à vivre des expériences traumatisantes, dont on connaît mal les conséquences sur leur développement psychique. On ne peut plus réel, ce péril très actuel ne devrait cependant jamais conduire à commettre un acte de censure à l’encontre d’un public adulte dont le droit à ne pas être infantilisé est inaliénable (il n’est hélas pas inscrit dans notre constitution). Il faut donc garder la tête froide, même si l’industrie de l’image a fait de la violence un produit de consommation très courant, surtout dans le domaine des jeux vidéos.

Le torse rasé de Tarzan

Au jour d’aujourd’hui, s’insinue un autre type de censure dont les esprits éclairés peinent à dénoncer la malice craignant à juste titre d’être confondus avec quelques extrémistes éructant leur haine de la différence… Elaboré aux Etats-Unis, pays multicommunautaire, le concept de «politiquement correct» vise à réduire le plus possible les risques d’offense contre un groupe ethnique, religieux ou culturel. L’effet est pervers, dans le sens où le «politiquement correct» entraîne une déréalisation des rapports sociaux préjudiciable à notre perception des «vrais» problèmes. C’est dans les séries télé, aussi impertinentes soient ces dernières, qu’il se fait le plus sentir! Certes, nous ne sommes pas encore revenus à l’époque où Tarzan devait se raser le torse et les vaches cacher leurs pis, mais sait-on jamais…

Vincent Adatte