«Pom, pom, pom, pom!»

Caméra-stylo, programme n°121 |

Hans Zimmer, Franz Waxman, Howard Shore, Mychael Danna, Danny Elfman, Carlo Crivelli, Wojciech Kilar, François Jaubert, Bernard Herrmann, Max Steiner, Angelo Badalamenti, Jürgen Knieper, Erich Wolfgang Korngold, James Horner, etc. Pour le grand-public, cette litanie nullement exhaustive de noms joliment cosmopolites ne signifiera pas grand-chose. Et pourtant ! Tous ont joué un rôle non négligeable dans la réussite de cinéastes comme Ridley Scott, Wim Wenders, John Ford, Raoul Walsh, David Lynch, David Cronenberg, Alfred Hitchcock, James Cameron, Roman Polanski, Marco Bellocchio, Jean Vigo, Atom Egoyan ou Michael Curtiz. Quel est le rapport? Pom, pom, pom, pom… Entendez-vous, ces presque inconnus ont composé la musique des chef-d’œuvres griffés par ces célébrités de l’image en mouvement. Paradoxalement, c’est ce titre de gloire qui a précipité leur anonymat car, ne dit-on pas à raison, qu’une bonne musique de film ne doit pas s’entendre!

Partie liée avec le cinéma

Comment en est-on arrivé là? Via un siècle de progrès techniques et surtout cette idée, absolument fondée, que le cinéma est le véritable art «total» (beaucoup plus que l’opéra n’en déplaise à ce cher Wagner)! Dès 1896, la musique a eu partie liée avec l’invention des frères Lumière. Pour couvrir le bruit du projecteur dans la salle (la première cabine de projection insonorisée date de 1907), on pianote un pot-pourri de morceaux populaires ou d’inspiration classique, mis bout à bout et n’entretenant parfois qu’un vague rapport avec les images. La première partition originale composée pour le cinéma remonte à 1908. Cette année-là, Saint-Saens compose dix-huit minutes de musique pour accompagner «L’assassinat du Duc de Guise». Durant les deux décennies suivantes, cette pratique se généralise. La composition musicale vise à un synchronisme global, non ponctuel (sauf dans les passages dramatiques). Elle est comme plaquée en continu sur les images et conserve de ce fait une autonomie consolatrice (pour le compositeur).

La musique est un son parmi d’autres

Cinéma sonore oblige, la musique cesse dès 1927 d’être une partition pour devenir un son (avec les bruits et les voix). Pendant près de cinquante ans, l’on se garde toutefois de tirer les leçons de cette évidence. Le canon de la musique «classique» de film est établi à Hollywood par des compositeurs venus d’Europe qui recyclent l’héritage wagnérien (notamment en promouvant de manière systématique le leitmotiv lié au héros), pratiquant ouvertement l’«underscoring» (ou «mickeymousing» en raison de son emploi fréquent dans les dessins animés) qui colle au film de la manière la plus étroite, à la limite du pléonasme (une musique triste pour une scène triste, tel est le «deal»). Cette fonction utilitaire un brin honteuse (aux yeux de certains mélomanes qui n’avaient pas compris que c’était déjà le cas chez Wagner) va subir une métamorphose rédemptrice suite aux progrès techniques sidérants accomplis sur le plan du son (dont le Dolby SR.D est le dernier avatar en date). Le mixage devient le lieu de tous les possibles, conférant à la bande sonore toute entière une musicalité prodigieuse (ce qu’avait supputé H. Honegger dans «Rapt»). A l’exemple de Badalamenti et de Shore, les compositeurs voient leur capacité d’intervention décuplée… Pour le plus grand bonheur de nos oreilles!

Vincent Adatte